1.3. Âge d’apparition de la surdité : prélingual vs postlingual

L’âge d’apparition de la surdité semble être également un facteur important par rapport à l’accès aux représentations phonologiques. En effet, les enfants sourds munis de prothèses conventionnelles témoignentde performances linguistiques différenciées en fonction de la date de survenue de leur surdité. Certains enfants présentant des surdités profondes développent un niveau de langage fort différent de leurs pairs, engagés dans des stratégies éducatives et rééducatives comparables. On retrouve fréquemment dans leur histoire une acquisition de la surdité à la fin de la première année de vie. Par exemple, une surdité apparaissant à 9 mois et une autre à 18 mois ont des répercussions très différentes sur de nombreux aspects et notamment sur le langage. Même si le langage produit est encore peu développé à 18 mois, les capacités de traitement de l’information verbale ont été entraînées depuis la naissance. Les voies afférentielles auditives ont été utilisées. Des réseaux de neurones ont été activés et ont créé une empreinte. Ce qui pourrait par ailleurs expliquer l’effet de précocité de l’implant cochléaire cité précédemment. Les enfants qui sont munis d’un implant cochléaire précocement obtiennent de meilleures performances que ceux implantés tardivement. Newport (2002) indique qu’il existe une forte relation entre l’âge d’exposition au langage et l’efficacité acquise dans ce langage ; et ce, notamment sur les propriétés formelles du langage (phonologie, morphologie et syntaxe) mais qui n’affecterait pas le traitement sémantique. L’étude de cas d’enfants isolés socialement jusqu’à l’âge de la puberté, indique les difficultés de ces derniers à élaborer un langage efficient par la suite (Curtis, 1977). Par ailleurs, Mayberry, Lock et Kazmi (2002) précisent que l’apprentissage d’une langue relève d’une synergie entre le développement précoce du cerveau et l’expérience langagière. Celle-ci est sérieusement compromise quand le langage n’est pas expérimenté précocement. Par exemple, ces derniers ont étudié les possibilités d’apprendre une seconde langue en fonction de l’âge auquel les individus avaient reçu une première expérience linguistique. Les résultats de leurs études révèlent que quelle que soit la modalité de leur première langue (orale ou visuelle), l’aspect précocité de cette expositions’avère être déterminant quant à l’acquisition de la seconde langue. Il existerait donc une période critique pour le développement des processus analytiques de la parole (voir Emmorey, Bellugi, Friederici, & Horn, 1995 ; Leybaert, 1998 ; Locke, 1997 ; Marcotte & Morere, 1990 ; Mayberry, 1995 ; Neville, 1991).

Il s’avère donc important de prendre en compte ces différents aspects (types et degré de surdité, âge de survenue de la perte auditive et utilisation du traitement de l’information acoustique) lorsque l’on souhaite étudier et tirer des conclusions sur les processus cognitifs disponibles, en particulier l’accès aux représentations phonologiques des enfants sourds.

L’ensemble des études auxquelles nous ferons référence implique des participants atteints de déficience auditive les plus graves acquises précocement et qui au préalable posent la question de la possibilité de développement de représentations phonologiques fonctionnelles au niveau de la perception de la parole. Au préalable, car en dépit de leur difficulté d’accès à la langue orale, il serait inexact de croire que les sourds sont dépourvus de toute connaissance dans ce domaine. Les sourds peuvent avoir recours à d’autres sources perceptives pour percevoir le langage oral et la lecture labiale semble la compensation la plus naturelle.