2.3.2. Chez le déficient auditif

La majorité des personnes sourdes de naissance (90% environ) ont des parents entendants. L’exposition à la parole via la modalité visuelle, constitue donc pour ces personnes, la principale entrée langagière durant leur enfance. En dépit du fait que la lecture labiale ne permette pas une aussi bonne compréhension que l’écoute de la parole, beaucoup de sourds deviennent de bons lecteurs labiaux. Ces derniers présentent un niveau en lecture labiale au moins équivalent à celui des entendants dans la discrimination perceptuelle des contrastes phonologiques délivrés par la vision (Bernstein, Demorest, & Tucker, 2000) et dans le recrutement de l’information conceptuelle de la lecture labiale (Rönnberg, 1995). Toutefois, des performances comportementales similaires n’impliquent pas nécessairement que les mêmes stratégies ou systèmes neuraux soient utilisés par les deux groupes.

Nous avons vu que la neuroimagerie fonctionnelle montre que les personnes entendantes activaient de manière consistante les régions temporales gauches durant la lecture labiale en l’absence d’information auditive (Calvert et al., 1997 ; MacSweeney et al., 2000, 2001) qui sont des régions également impliquées dans la perception de la parole auditive. Les personnes sourdes montrent –elles le même pattern de données ? Est-il nécessaire d’entendre pour que le cortex temporal gauche soit activé ? Deux hypothèses peuvent être formulées : selon la première, l’expérience des associations audio-visuelles des personnes sourdes de naissance peut être faible et engendrer ainsi une activation réduite par la lecture labiale en l’absence d’audition dans ces régions ; selon la seconde, une expérimentation des associations audio-visuelle est possible à travers l’utilisation des représentations articulatoires (gestuelles) (Liberman & Whalen, 2000) (théorie motrice) si l’on considère que la perception de la parole est traitée dans un mode qui est relativement insensible à la modalité dans lequel elle est perçue (Fowler, 1986). Il serait donc alors tout à fait possible que les personnes sourdes qui utilisent la parole puissent accéder au réseau de traitement de la parole temporal latéral gauche en dépit de l’absence d’information acoustique. Les régions temporales gauches pourraient être spécialisées pour l’analyse phonologique de la parole quelle que soit la modalité ou les modalités d’entrées. D’un point de vue psycholinguistique, les personnes sourdes qui utilisent la parole comme langage premier pourraient partager le substrat cortical de la perception de la parole segmentée avec les entendants.

En utilisant la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, MacSweeney et al. (2001) ont observé 6 sourds profonds de naissance et 6 entendants bons lecteurs labiaux dans une simple tâche de lecture labiale (identification au hasard de nombres donnés à l’oral entre un et neuf). Les données révèlent que les aires activées durant la lecture labiale chez les sourds ne sont pas aussi latéralisées à gauche qu’elles le sont chez les entendants. Les participants entendants activent le cortex temporal bilatéralement en réponse à la lecture labiale. Cependant, aucune activation temporale significative n’est observée chez les participants sourds quand ils sont analysés comme un groupe. L’activation temporale gauche est présente chez la plupart des sujets sourds mais montre un plus grand pattern de dispersion. Il en résulte que les individus sourds congénitaux dont le premier langage est l’anglais parlé montrent significativement moins d’activation temporale que les sujets entendants qui réussissent de manière identique cette tâche (Campbell, 1998), ce qui suggère que ‘« entendre la parole aide à développer système de perception de la parole adulte cohérent dans lequel les aires latérales du lobe temporal gauche sont activées »’ (p.437). Ces données suggèrent que l’expérience acoustique précoce peut être requise au niveau des régions à l’intérieur du cortex temporal gauche pour développer un réseau avec des sous aires dévolues aux fonctions spécifiques d’analyse de la parole. Dans une récente étude, MacSweeney et al. (2002) précisent que le gyrus cingulaire postérieur pourrait être activé lors de la lecture labiale par les sourds congénitaux profonds.

En conclusion, la latéralisation corticale de la lecture labiale semble dépendre du statut auditif du lecteur labial. Le cortex temporal gauche est activé chez les personnes entendantes pour une simple tâche de lecture labiale. Chez les personnes sourdes, l’étendue de l’activation dans ces régions est relativement réduite, plus variable en localisation et moins cohérente avec le respect d’une activation de hiérarchie fonctionnelle (Binder et al., 2000). Ceci amène à conclure que la parole entendue aide au développement du système de perception de la parole adulte à l’intérieur des aires latérales du lobe temporal gauche. L’expérience acoustique peut moduler mais non nécessairement déterminer la spécialisation des réseaux à l’intérieur du cortex temporal gauche pour le traitement de la parole.