II. L’acquisition du code écrit

Les modèles théoriques sur l’acquisition de la lecture et de l’écriture mettent en évidence le lien entre qualité des représentations phonologiques, habiletés à manipuler des unités phonologiques, et acquisition du code écrit. Trois hypothèses peuvent alors être formulées quant au profil attendu des enfants sourds face à cette acquisition : (1) La lecture et l’écriture sont des processus langagiers secondaires, dont la maîtrise requiert la représentation de la structure de la parole en phonèmes, permettant le développement de la médiation phonologique par association des graphèmes aux phonèmes. Dans cette perspective, les troubles du langage oral présentés par les enfants sourds engendreraient nécessairement des déficiences dans l’acquisition du langage écrit.(2) L’acquisition du langage écrit pourrait être considérée comme plus facile que celle du langage oral. Le fait que l’écrit est visuel pourrait avantager les sourds, à condition que la médiation phonologique ne soit pas indispensable pour apprendre à lire et écrire. L’écrit fournirait à ces enfants une trace plus durable que le signal sonore. (3) L’acquisition du code écrit, en l’absence de traitement auditif fonctionnel, pourrait ne pas engendrer nécessairement l’absence de développement de la médiation phonologique, ni la limitation à des résultats inférieurs à ceux des enfants entendants normalement. Toutes les circonstances atypiques ne se solderaient pas par une déficience : le développement pourrait être différent sans être obligatoirement défectueux (Leybaert, 2002).

Laquelle de ces trois hypothèses semble la plus plausible? C’est ce que nous proposons d’examiner tout au long de cette partie à travers la présentation de diverses études expérimentales impliquant différents types de population sourde (contexte oral vs signant vs âgés vs jeunes). Nous partirons du constat que les sourds en général ont un niveau de lecture significativement inférieur à celui de leurs pairs entendants. Un examen plus approfondi de leurs habiletés phonologiques ainsi que de leurs performances dans des tâches de rappel immédiat ordonné et de lecture-écriture sera effectué pour tenter de comprendre la manière dont ils traitent ces tâches et en particulier s’ils font appel à des codes phonologiques ou non. Ces observations seront systématiquement comparées à celles observées chez des sourds pratiquant le LPC. L’importance de l’exposition précoce au LPC sur les résultats observés sera alors discutée. A travers cette revue d’études visant à montrer l’état des connaissances phonologiques chez les différents sourds, nous avons pour objectif de mettre en exergue les facteurs favorisant l’utilisation chez les sourds de représentations phonologiques appropriées et de là, un niveau de lecture comparable à celui de leurs pairs entendants, en dépit de leur handicap sensoriel.