2.1.2. Traitement des unités syllabique et phonémique

A notre connaissance, la seule étude visant à examiner cette capacité chez les enfants sourds est l’étude de Sterne et Goswami (2000). Dans l’étude que nous venons de présenter ci-dessus, ces auteurs ont également examinéles habiletés phonologiques au niveau de la syllabe et du phonème respectivement dans une tâche de jugement de longueur de mots et une tâche de recodage phonologique. Ils ont comparé les performances d’un groupe d’enfants sourds profonds congénitaux majoritairement éduqués dans une perspective oraliste (âge chronologique moyen : 11 ; 7 ans et âge moyen de lecture : 7 ; 1 ans) et de deux groupes d’enfants entendants respectivement appariés sur l’âge chronologique et le niveau de lecture. Les résultats de ces deux expériences montrent que les enfants sourds ont une certaine conscience phonologique, en particulier syllabique. En effet, dans la première expérience, les enfants sourds montrent un niveau de conscience syllabique équivalent à celui des enfants entendants appariés au niveau de l’âge chronologique. La deuxième expérience indique également que les enfants sourds sont capables de recoder phonologiquement des pseudo mots en sélectionnant l’homophone correct d’un nom d’une image ; cependant, en dépit du fait que leurs performances sont supérieures au niveau du hasard, elles restent inférieures à celles des enfants entendants de même niveau de lecture. Ceci suggère que comme pour les enfants entendants, la conscience syllabique précède la conscience phonémique (Liberman et al., 1974). L’aspect très explicite des consignes données aux enfants par les expérimentateurs nous amène toutefois à rester réservé quant à une certaine forme de conscience phonologique chez les enfants sourds.

Quel pourrait être l’effet d’une exposition précoce au LPC sur la capacité à traiter les unités syllabiques et phonémiques ?

Avant l’apprentissage de la lecture, les enfants sourds LPC-M sont sensibles aux similitudes phonologiques que partagent certains mots (Charlier & Leybaert, 2000). Ils sont sensibles au fait que la fin de certains mots présente la même image labiale et est codée avec la même clé manuelle (syllabe) ou la position de la main (rime). Les enfants entendants sont sensibles au fait que certains mots « sonnent » de la même façon à la fin et pour aller plus loin dans le raisonnement, présentent la même image labiale finale. Avec l’instruction de la lecture et donc du principe alphabétique, ces derniers vont prendre conscience que les mots de la langue orale sont décomposables en syllabes et en en unités non signifiantes que sont les phonèmes. De façon similaire, les enfants sourds LPC-M vont prendre conscience que les mots comportent des clés manuelles différentes (codant les syllabes) et que ces clés sont formées à l’aide de deux paramètres : la configuration des doigts (codant les phonèmes consonantiques) et la position de la main (codant les phonèmes vocaliques). Compte tenu de ces suppositions, nous pourrions faire l’hypothèse que ces derniers seront capables de traiter ces unités de la même façon que les enfants entendants. A notre connaissance, aucune étude n’a directement testé chez les enfants sourds exposés précocement au LPC la capacité à traiter les unités syllabiques et phonémiques. Toutefois, si l’on considère que c’est l’exposition linguistique précoce à une entrée phonologique bien spécifiée qui permet le développement de ces habiletés phonologiques chez les sourds indépendamment de la modalité d’entrée (auditive vs visuelle), nous pourrions examiner cet effet chez les enfants sourds profonds munis d’un implant cochléaire précocement. En général, la plupart des recherches concernant les effets de l’implant cochléaire se sont focalisées sur la perception de la parole et les habiletés de production de la parole. La seule étude que nous avons recensée concernant notre perspective de recherche est celle Unthank, Rajput, et Gowsami (2000). Ces auteurs ont montré que des enfants sourds, munis d’un implant cochléaire (précoce vs tardif) obtiennent des performances similaires (au dessus du niveau du hasard) à celles d’enfants sourds profonds appareillés et présentant un bon gain prothétique (âge moyen de la population étudiée compris entre 7 et 9 ans) dans des tâches de conscience syllabique et de détection de phonèmes en position initiale. Pour l’ensemble des participants, la tâche de conscience syllabique est mieux traitée que la tâche de conscience phonémique. Dans l’ensemble, ces résultats indiquent que les enfants sourds munis d’un implant cochléaire sont capables de développer une conscience phonologique, suggérant que ces derniers ont tiré profit de leur implant cochléaire ; aucun effet de l’âge d’implantation cochléaire n’est cependant observé. Cet effet est seulement observé en lecture de mots et sur le développement du vocabulaire. La suite de cette étude n’ayant pas à notre connaissance été publiée, nous ne pouvons conclure définitivement quant à l’absence d’effet d’une implantation cochléaire précoce sur la capacité à traiter les unités syllabiques et phonémiques, dans la mesure où l’étude longitudinale devait comporter un plus grand nombre de participants ainsi qu’un groupe contrôle d’enfants entendants.