2.2. Discussion

La présentation de cette expérience avait pour objectif non seulement d’examiner le niveau d’habiletés phonologiques acquis en fin de première primaire selon le traitement requis (épi- et méta-phonologique) en fonction du mode de communication utilisé par les enfants sourds mais aussi d’observer le type d’unités linguistiques (syllabe versus phonème) traité chez les enfants sourds. Comme attendu, les résultats ont montré que dans les deux tâches (JS2 et TDUC2), les performances des enfants sourds LPC-M et entendants étaient supérieures à celles des autres enfants sourds (Oral et LPC-E) ; aucune différence significative n’était observée entre les groupes LPC-M et Entendant, ni entre les groupes Oral et LPC-E. Ces données semblent confirmer l’hypothèse selon laquelle les connaissances organisées en mémoire à long terme de façon implicite avant l’apprentissage de la lecture deviennent exploitables sous l’effet de l’instruction de la lecture dans une tâche requérant la capacité d’analyser de façon explicite les segments sonores de la langue orale. Les enfants LPC-M ayant été exposés de façon implicite et précocement à une entrée phonologique pouvant leur fournir des connaissances phonologiques transparentes (précises) sont capables d’exploiter ces connaissances dans ce contexte. Ceci peut donc expliquer qu’avant l’apprentissage de la lecture, dans des tâches ne requérant pas l’analyse explicite (et fine) des segments sonores de la langue orale (tâche de jugement et de génération de rimes), les enfants sourds LPC-M ne montraient pas des performances significativement plus élevées que celles des enfants sourds LPC-E. Celles-ci pouvaient être traitées en effectuant une analyse globale et non analytique des segments sonore de la langue orale (Cardoso-Martins, 1994).La tâche JS2 était mieux réussie que la tâche TDUC2 par les groupes Oral et LPC-E ; pour ces enfants sourds, identifier l’item cible qui partageait une unité commune avec le modèle (traitement épi-phonologique) semblait être plus facile en fin de première primaire que reporter l’unité commune de ces deux items (traitement méta-phonologique). Ce qui ne semblait pas être le cas pour les groupes LPC-M et Entendant dont les performances ne différaient pas significativement dans les deux tâches. Le fait que la tâche TDUC2 impliquait des productions orales nous a incité à nous interroger sur l’effet du facteur intelligibilité de la parole dans ce contexte. Cependant, il s’avère que le niveau d’intelligibilité de la parole des enfants sourds LPC-M ne différait pas significativement de celui des autres enfants sourds (Oral et LPC-E). Ces résultats confirment le fait que les enfants sourds n’ayant pas bénéficié précocement d’une entrée phonologique adéquate développent des représentations phonologiques sous spécifiées. Il est donc difficile pour eux d’extraire de façon explicite l’unité linguistique commune à deux items. Dans cette expérience, l’effet d’une exposition précoce au LPC est clairement mis en évidence.

Par ailleurs, nous avons observé, de façon générale que les enfants sourds traitaient de manière identique les unités syllabique et phonémique dans les deux tâches alors que les enfants entendants montraient des performances plus élevées lorsque les conditions impliquaient une unité syllabique. Dans la tâche de jugement de similarité, les erreurs commises dans la condition phonémique sont des erreurs labiales suggérant que comme en troisième maternelle, ils sont sensibles à l’effet de similarité labiale. En revanche dans la tâche de détection d’unité commune, cette différence est attribuable à la cotation que nous avons adoptée. En effet, nous avons choisi de considérer comme correctes les réponses phonémiques données pour les réponses syllabiques attendues. Or, les enfants entendants donnaient ce type de réponse en général.