2.2. Sur les habiletés phonologiques mesurées en P1 : apport du recodage phonologique ?

Cette seconde série de régressions avait pour visée d’examiner non seulement l’apport des habiletés phonologiques précoces mais aussi celui du développement des habiletés en recodage phonologique sur le niveau de réussite dans les tâches phonologiques en P1. Cette dernière variable est rarement prise en considération dans les études longitudinales, alors qu’elle peut affecter considérablement les résultats. Le fait que le développement des habiletés méta-phonologiques est lui-même accéléré par l’acquisition du code alphabétique (voir Ehri, 1984 ; Morais et al., 1987 ; Morais, Cary, Alegria, & Bertelson, 1979), nous amène à nous interroger sur l’influence de cette variable sur le développement des habiletés phonologiques chez les sourds. Dans quelle mesure le contact avec le code alphabétique peut-il favoriser ce développement ? Dans cette perspective, nous avons pris comme variable dépendante soit le score z obtenu dans la tâche de jugement de similarité phonologique (JS2), soit le score z obtenu dans la tâche de détection d’unité commune (TDUC2) en première primaire. Après avoir introduit les variables « âge chronologique » et « niveau d’intelligence non verbale » (Kohs), nous avons introduit le score composite z des habiletés phonologiques (HP1) en troisième maternelle puis le score de recodage phonologique recueilli en première primaire (Reco2). Les résultats de la deuxième série de régressions sur les deux échantillons (entendant et sourd) sont présentés dans le Tableau 28 :

Tableau 28 : Résultats des régressions multiples sur les deux échantillons (Entendant et Sourd). Variable dépendante : soit le score z obtenu dans la tâche de jugement de similarité phonologique (JS2), soit le sore z obtenu dans la tâche de détection d’unité commune (TDUC2) en première primaire ; prédicteurs : 1/ score composite Z des habiletés phonologiques en troisième maternelle (HP1); 2/ mesure de recodage phonologique en première primaire (Reco2).
  Enfants sourds (n=26)   Enfants entendants (n=16)
Variable dépendante: Score tâche JS2
Prédicteur r2 r2 p   r2 r2 p
1. AgeC .003   ns   .026   ns
2. Kohs .043 .040 ns   .088 .062 ns
3. HP1 .109 .066 ns   .321 .233 .06
4. Reco2 .397 .288 <.01 .403 .082 ns
Variable dépendante: Score tâche TDUC2
Prédicteur r2 r2 p   r2 r2 p
1. AgeC .015   ns   -   ns
2. Kohs .122 .107 ns   .022 .022 ns
3. HP1 .181 .059 ns   .277 .255 .06
4. Reco2 .564 .383 <.001 .303 .026 ns

Les données diffèrent selon les groupes. Comme prédit, chez les enfants sourds, il semble que le contact avec le code alphabétique favorise le développement de représentations phonologiques alors que chez les enfants entendants, il semble que ce sont les habiletés phonologiques observées en M3 qui sont les plus prédictrices des habiletés phonologiques en P1. Le gain supplémentaire apporté par le niveau de recodage phonologique n’est pas significatif. Ce patron de résultats est étonnant car de nombreuses études ont montré que le contact avec le code alphabétique favorisait le développement des habiletés phonologiques en retour. Il est possible que chez les enfants sourds cet impact soit plus important. Cependant, les enfants entendants ont obtenu un bon score en recodage phonologique, l’absence de variabilité pourrait donc expliquer ces résultats.