1.2. Discussion

Ces analyses ont été menées dans l’objectif de déterminer quelle(s) mesure(s) à court terme (la même année, P2) à moyen terme (l’année précédente, P1) ou à long terme (avant l’apprentissage de la lecture, M3) pouvai(en)t prédire le mieux les compétences mesurées en seconde primaire chez les enfants sourds et entendants.

La première question était de savoir si les habiletés phonologiques développées par les enfants sourds avant l’apprentissage de la lecture pouvaient prédire le niveau de compétences acquis deux ans plus tard ou si c’était le contact avec le code alphabétique qui favorisait davantage ce développement. Il ressort de ces analyses, que chez les sourds, une fois que la variabilité liée à l’âge chronologique, le niveau d’intelligence non verbale et celui du vocabulaire a été contrôlée, ce sont les habiletés phonologiques mesurées en P1 et P2 et non celles mesurées avant l’apprentissage de la lecture qui prédisent le mieux les compétences mesurées en P2 (HP3, Reco2, Comp3, Ortho3) ; ce qui n’est pas le cas des enfants entendants. De façon générale, chez ces enfants, ce sont les habiletés phonologiques précoces (HP1) et non celles mesurées lors de l’apprentissage de la lecture qui déterminent leur niveau ultérieur en habiletés phonologiques, en lecture (Comp3) et en orthographe. Ces données peuvent confirmer le fait que l’apport de l’apprentissage de la lecture est plus important chez les sourds que chez les enfants entendants sur le niveau de compétences développé ultérieurement. L’apprentissage explicite du code alphabétique peut aider les enfants sourds à développer et spécifier leurs représentations phonologiques de façon plus importante que chez les enfants entendants qui ont déjà avant l’apprentissage de la lecture développé des représentations phonologiques relativement bien spécifiées même s’ils n’en ont pas conscience. Cela ne signifie pas pour autant que cet apport ne soit pas significatif chez les enfants entendants. Mais une grande part de la variabilité des modèles est déjà expliquée par leur niveau d’intelligence non verbale, ce qui empêcherait cet effet d’apparaître dans les analyses. Certaines études longitudinales ont montré que cette variable pouvait avoir un effet sur les compétences chez les entendants. Aucune interprétation n’est cependant donnée. L’épreuve des cubes de kohs permet d’évaluer les compétences d’analyses et de synthèses des enfants, et il se peut que ces compétences soient intégrées dans les différentes épreuves que nous avons administrées ; par exemple, les épreuves de détection d’unité commune et de suppression phonémique requièrent que l’enfant analyse le mot et identifie l’unité commune ou le mot restant après avoir supprimé le phonème demandé. Pourquoi alors l’effet de cette variable (niveau d’intelligence non verbale) n’est pas observé chez les enfants sourds ? Par ailleurs, comme nous l’avons suggéré précédemment, il faut tenir compte que le groupe entendant est composé de 16 enfants seulement et que ces enfants obtiennent des scores élevés dans de nombreuses tâches. L’absence de variabilité dans les distributions de données peut être également une raison pouvant expliquer cette absence de résultats significatifs.

La seconde question concernait l’impact que pouvait avoir le niveau de recodage phonologique mesuré en P1 sur les différentes variables mesurées en P2 et quel gain de pouvoir explicatif pouvait apporter le niveau de recodage phonologique mesuré la même année chez les sourds et les entendants. La capacité à utiliser les règles de correspondances graphème-phonème au début de l’apprentissage de la lecture. Il s’avère que chez les sourds comme chez les entendants, cette capacité, mesurée en P1, prédit les performances en habiletés phonologiques, en lecture (Comp3) et en orthographe. Elle est également prédictrice des habiletés de recodage phonologique en P2 mais seulement chez les enfants sourds. Chez les enfants entendants, le niveau de recodage en P1 est déjà élevé, ce qui peut expliquer l’absence d’apport significatif de cette variable sur le niveau de recodage mesuré en P2.

La troisième question faisait référence à l’apport de l’orthographe dans le développement des habiletés phonologiques, du recodage phonologique et de la compréhension en lecture mesuré la même année. Les résultats montrent que cette variable peut être prédictrice de ces trois types de compétences chez les enfants sourds et seulement du niveau de compréhension chez les enfants entendants et de façon importante.

Par ailleurs, le niveau de vocabulaire qui est reconnu faible chez les enfants sourds s’avère être un bon prédicteur chez les enfants sourds du niveau de recodage phonologique (Reco3) et du niveau de compréhension (Comp3) ainsi que des habiletés phonologiques (HP3) mais de façon marginale.

Ce qui ressort de ces analyses, est le fait que chez les sourds, les variables mesurées à moyen (P1) et à court terme (P2) sont plus prédictives du niveau d’habiletés phonologiques, de recodage phonologique, de compréhension en lecture et d’orthographe mesuré en P2 ; alors que chez les entendants, ce sont les variables mesurées à long terme c’est-à-dire avant l’apprentissage de la lecture (M3) qui déterminent davantage le niveau ultérieur des enfants. Considérons toutefois que le niveau d’intelligence non verbale chez les enfants entendants explique déjà une grande part de la variance totale des habiletés phonologiques (HP3, 38.7%), de recodage phonologique (Reco3, 23.2%) et d’orthographe (Ortho3, 30.7%).