Première partie : PROBLEMATIQUE

I - 1 - Introduction

I - 1 - 1 - Avant-propos

Une adolescente est battue. Un père, un frère, ou encore une mère frappe une fille régulièrement. Agression, et parfois affrontement, faits de chocs, d’angoisses et de gestes désordonnés. Ils entraînent, lorsqu’ils sont rapportés par l’adolescente, un propos lui-même heurté et anxieux.

Parfois la mère gifle comme seul moyen de faire retomber l’excitation ambiante, forme de solution physique à la recherche de limites introuvables dans les représentations de chacune. Le père, plus enclin à saisir des objets pour frapper, paraît souvent plus froid dans sa violence, jusqu’à attacher sa fille pour la corriger. Enfin c’est souvent en justicier qu’un frère intervient de cette manière, trouvant dans la désobéissance de sa sœur une justification à la couvrir de claques, de coups de pied et de crachats, ce qu’elle rapportera avec indignation.

Ce qui peut devenir un mode éducatif familial est souvent circonscrit à des moments ponctuels, la signature d’un mauvais carnet de notes, un trop long retard après la fin des cours, un refus obstiné à une demande, ou une alcoolisation trop forte de l’agresseur ce soir-là…

Mais toujours, la description répétée de ces scènes d’affrontement et le sentiment de profonde injustice exprimé par ces jeunes filles conduit à se demander : comment symboliser cela ?

Comment dépasser la dimension d’insensé de ces moments de profonde angoisse et d’excitation pulsionnelle extériorisée ? Quelle histoire à soi racontée ou quel roman permet d’inscrire ces coups dans une histoire filiale évidemment faite de bien autre chose que de cette brutalité ?

Comment la situation spécifique de l’adolescente, aux prises avec des transformations provenant de l’intérieur d’elle-même, entre-t-elle en résonance ou en dissonance avec ces expériences, où la réalité externe semble s’approprier agressivement leur corps ?

La douleur consécutive aux coups peut-elle inclure la liaison avec l’orgasme, donnant à ces attitudes de violence pourtant destructrices une forme d’appel à la jouissance, et peut-on parler de masochisme ici ?

Pourquoi certaines adolescentes maintiennent-elles leur refus de retourner vivre chez leurs parents, travaillant visiblement ces éprouvés d’agressions familiales durant leur séjour, alors que d’autres, ayant posé un souhait de quitter de telles conditions de vie jusqu’à être placées reviennent sur leur décision et réintègrent le domicile familial ?

Que reprendre dans la situation clinique de ce qui se donne d’abord comme une critique des parents pour évoluer parfois vers une réactualisation de la dynamique conflictuelle intrafamiliale ? Nous utiliserons ici ce que l’éventuelle contestation adolescente du cadre des entretiens peut susciter chez nous de contre-agressivité, ou d’associations personnelles.

Enfin ce thème peut être envisagé de façon plus large si nous nous interrogeons sur les motivations de ces adolescentes à révéler les agissements familiaux. Ainsi le fait que d’autres adolescentes puissent recevoir des coups à la maison sans les dénoncer (celles que nous rencontrons ont été parfois longtemps dans ce cas) conduit à s’interroger sur ce qui fait que celles-là en parlent à l’extérieur. Nous dirons au préalable que ce qui est en jeu ici est d’abord, plus que les coups eux-mêmes, une rupture de sens.

Précisons d’emblée que les jeunes filles que nous rencontrons dans ce cas n’ont pas systématiquement été battues lorsqu’elles étaient plus jeunes. Souvent leurs situations ne pourraient pas être qualifiées de «situations de mauvais traitements», telles qu’elles se rencontrent pour des enfants plus jeunes. "Ça a commencé quand j’avais 12 ans ou 13 ans" est une réflexion courante, ces agressions étant visiblement conditionnées par l’apparition de la génitalité pubertaire, élément que nous ne manquerons pas de problématiser.

D’ailleurs lorsque sont évoqués des coups durant l’enfance, ils sont généralement renvoyés à un autre registre par l’adolescente. Les coups à partir de la puberté font visiblement un autre effet que les coups qui la précèdent. Il semble que cette observation fasse à l’évidence partie de notre recherche.