I - 1 - 2 - Pourquoi cette interrogation ?

a - UNE DEMANDE D’ELOIGNEMENT

Si des questions sur de telles expériences vécues par ces adolescentes se posent pour nous, c’est qu’une première conséquence concrète s’est produite : ces jeunes filles en ont témoigné à l’extérieur. Enseignants et assistantes sociales scolaires, camarades de collège et leurs parents, services de police, éducateurs de rue et animateurs de structures socioculturelles sont autant d’interlocuteurs retenus pour se plaindre et tenter de sortir de cette situation difficile. De manière moins choisie, c’est parfois un service hospitalier qui recueille cette doléance.

Mais quel que soit le canal sollicité, et à supposer que quelque chose d’une demande surgisse des propos de cette jeune (ou que quelqu’un entende ce qu’il en est d’une demande), c’est dans le cabinet du Juge pour enfants que ce témoignage a toutes chances d’aboutir un jour. Certes, le « placement en institution socio-éducative » 1 n’est pas le seul outil à la disposition du Juge. Ce Magistrat se situe dans un cadre juridique précisautorisant diverses possibilités d’intervention 2 . C’est à l’intérieur de ces possibilités que le Juge peut choisir la solution du placement, et ceci en fonction de critères que l’on pourrait qualifier de pédagogiques, au sens le plus large du terme 3 .

Les situations que nous évoquerons ici ont connu ce cadre d’intervention. C’est à cette occasion que nous les avons rencontrées 4 . Le plus souvent, ces adolescentes ont demandé à ne pas retourner chez elles, prévoyant que leur dénonciation aggraverait la situation. Quelquefois c’est la décision judiciaire qui s’est imposée. Elles ont très rarement porté plainte. Généralement, c’est seulement d’être éloignées de leurs parents qui parait leur suffire, même si cette distance matérielle ne règle en rien la grave dynamique conflictuelle qui est généralement celle de la famille, dynamique dont nous verrons qu’elle dépasse de loin la seule question des coups.

Ainsi la prise en charge des adolescentes dans ces institutions éducatives occasionne-t-elle une séparation physique d’avec le milieu antérieur, cette distance n’ayant pas seulement pour but une évidente protection. L’idée qu’un éloignement favorise aussi une élaboration pour chacun, une transformation et peut-être une prise de contact ultérieure enfin apaisée entre adolescente et famille est souvent présente lors de la décision de placement. Ce projet connaît toutefois des destins divers.

Car comme nous l’avancions à l’occasion de nos questions préliminaires, il arrive que cet éloignement soit suffisamment insupportable aux unes comme aux autres pour que le placement ne dure que le temps de l’énoncer… A l’inverse, les rencontres peuvent n’être possibles que très difficilement, même plusieurs semaines après la séparation, et dans un contexte d’hostilité et de rancune qui handicape gravement tout espoir d’organiser un retour apaisé en famille.

Plus mesurées, nous pourrions citer toutes ces situations dans lesquelles l’hésitation, l’espoir ou l’abattement entraînent des interrogations répétitives au sujet d’un retour en famille, celui-ci aussitôt contesté par le retour des souvenirs de violence, ou par le fait que rien ne paraît avoir changé dans l’environnement familial.

Et c’est sans doute pourquoi nous nous interrogeons sur cette violence familiale. Car nous avons connu de ces « coups de théâtre » que constituent des retours impulsifs dans des familles maltraitantes, lesquels laissent le professionnel interrogatif sur les processus en jeu et sur ce qui aurait pu être fait pour éviter ce recours à ce que nous ressentons comme une violence potentielle. Aussi bien, c’est de différencier l’humain de l’inhumain dans le travail de symbolisation proposé aux adolescentes qui pourrait résumer le projet de ce travail de thèse.

Notes
1.

Plus vulgairement appelé « placement en foyer »…

2.

Un Juge pour enfants peut proposer ou imposer dans un but d’assistance (Loi du 4 juin 1970 pour les mineurs en danger) un placement dans une institution éducative.Cette ordonnance de placement peut aussi entrer dans une logique coercitive (Ordonnance du 2 Février 1945 pour les mineurs délinquants). Il peut d’autre part prononcer une Assistance Educative en Milieu Ouvert, qui formalise l’interventiond’un travailleur social auprès de l’enfant mineur tout en le ou la maintenant dans son milieu d’origine. Ce qui appartient à la Loi de 1970 (placement et AEMO) s’applique aussi aux jeunes majeur(e)s (de 18 à 21 ans), sous la réserve qu’ils en fassent la demande au Magistrat.

3.

D’abord parce que c’est à l’éducation d’un mineur qu’il s’agit d’appliquer le Droit, puis parce qu’il s’agit de transmettre une décision qui laisse ouverte la possibilité du changement à un environnement familial.

4.

Psychologue dans un service d’accueil et d’orientation géré par une association loi 1901, ma mission d’évaluation est évoquée § I-2-3, puis approfondie dans l’analyse de notre dispositif d’intervention et de recherche.