I - 1 - 3 - Problématique générale

Les interrogations à l’origine de cette recherche proviennent de cette expérience professionnelle. Elles concernent les mécanismes psychiques mis en place par les adolescentes dans de telles situations de violence puis d’absence parentale.

Le lecteur notera que la situation est double : violence, puis absence, en tout cas éloignement. Il existe entre ces deux notions un lien objectif, fonctionnel, celui de la protection, déjà citée. Puis, liaison plus sensible, l’idée que le temps du placement est un temps pour comprendre et, par-delà une élaboration possible, l’expérience de relations avec l’adulte n’impliquant pas systématiquement le passage à l’acte de sa part.

Certes on peut penser que le placement protège quelquefois les parents de leur propre violence, voire d’une contre-violence agie par leur fille. Toutefois ce lien est parfois décliné différemment par les adolescentes. "C’est moi qui me fais tuer et c’est moi qu’on punit…" est une représentation habituelle qui indiquerait plutôt un vécu de répétition de violence dans cette décision de placement. "Et pourquoi j’serais pas à l’hôpital ? Ils m’ont pas mise à la porte, ils m’ont tapée !" peut, dans une autre liaison, traduire un sentiment de déqualification du statut de victime ou de banalisation de la violence.

Mais on pourrait aussi bien penser d’emblée que le placement vient comme dans un après-coup re-signifier la question de l’abandon pour une adolescente ayant déjà intégré cette dimension dans son histoire personnelle (et que la violence interrogeait peut-être déjà).

Enfin si les coups ne font généralement pas partie des objets quotidiens rencontrés en famille par chaque adolescent ou adolescente à notre époque, l’idée de s’éloigner de sa famille reste une aspiration universelle à cet âge de la vie. Or si quitter les siens après une série d’affrontements physiques n’a probablement pas les mêmes conséquences personnelles qu’en partir dans un projet accompagné, il reste que cette idée de départ est un paradigme du processus de l’adolescence. Nous devons considérer cette notion comme possédant un sens pour les adolescentes rencontrées, et ce au-delà de leur situation d’avoir été frappées.

La dénonciation des coups pourrait enfin poser la question d’une impossible séparation d’avec les parents, ces adolescentes attendant en quelque sorte des professionnels et du placement la mise en place d’un processus que la psyché échoue à installer d’elle-même dans une visée maturative.