I - 2 - Présentation de la recherche

I - 2 - 1 - Problématisation

a - LES QUESTIONS DE LA RECHERCHE

Reprenons l’idée émise au début de notre introduction, laquelle supposait qu’une rupture de sens est à l’origine du passage d’une acceptation des coups à leur dénonciation. Quel sens ces coups reçus prennent-ils dans la modification des objets psychiques à l’adolescence, en tenant compte du fait que les figures parentales sont souvent vécues comme agissant ou initiant cette expression pulsionnelle ?

Comment peut se représenter l’expérience de recevoir ces attaques alors même que l’adolescent(e), parallèlement à une réappropriation d’un corps différent, utilise souvent de manière préférentielle le vecteur du corps pour s’exprimer devant autrui ?

La dimension sexuelle est-elle une voie privilégiée pour élaborer ces expériences, une mise en forme possible des coups à partir de représentations de pénétration et de passivité, ou est-elle au contraire un obstacle au travail d’identification sexuelle en raison du risque de retour des fantasmes incestueux de la petite enfance ?

Enfin quel peut être le statut métapsychologique des coups, et notamment à travers l’éventualité qu’une telle expérience puisse faire traumatisme pour le sujet concerné ? Et ne peut-on pas penser que cette répétition de violence puisse être intégrée à une économie psychique qui ferait de cette répétition un besoin ?

Puis nos questions initiales, comme nous l’avancions il y a quelques lignes, concerneront les effets de cette mise à distance réelle alors même que n’est pas terminée l’adolescence censée en donner les moyens. Nous reprendrons en outre les liens pouvant se faire jour entre agressivité et éloignement, notamment dans ce qui peut peser de cette mise à distance sur l’activité de symbolisation.

Nous répondrons à ces questions à l’aide d’un matériel collecté au cours de notre pratique professionnelle. Nous avons déjà précisé que la dimension de placement en institution est une donnée spécifique à cette position de recherche, dans la mesure où nous pourrions imaginer une réflexion sur de telles violences familiales subies sans que l’écoute clinique ne se produise dans le cadre d’un placement éducatif.

Il est toutefois difficile de séparer prématurément ce qu’il en est du rapport de cette dualité agressivité reçue/éloignement avec les conditions d’effectuation de la recherche, et notamment la dimension de l’entretien clinique en institution éducative pour une mission d’évaluation psychologique. La nature et les conséquences du dispositif clinique utilisé pour cette recherche ne semblent pas pouvoir être d’emblée exclues de ce qui peut renforcer ou infléchir les effets complexes de la violence ou de l’agressivité familiales. Notre partie théorique se verra ainsi précédée d’un chapitre sur ce sujet permettant de préciser les limites de la pertinence d’une telle position de recherche.

Enfin un point doit être souligné ici : notre objectif de recherche - étudier des processus psychiques - pourrait être progressivement remplacé par une observation des comportements de ces jeunes filles, et notamment leur attitude d’accepter ou non, de supporter ou non, l’orientation dans une autre institution éducative. Nous devons nous garder d’inscrire en termes de réussite ou d’échec cette pratique d’orientation. Notre souhait qu’elles refusent la brutalité familiale en maintenant leur refus de rentrer en famille doit être analysé. En effet, même si ce souhait témoigne d’une attention compréhensible à ce qui se construit parfois comme organisation psychique compulsive chez ces jeunes filles, il peut aussi représenter une nouvelle agression, véritable contre-attitude à celle agie par la famille, et qui peut constituer un obstacle à des processus progrédiants chez ces adolescentes.

La vérification que leurs fantasmes agressifs n’ont pas détruit les personnes concernées peut, par exemple, nécessiter une ultime tentative de vie familiale, aussi risquée que celle-ci apparaisse.