b - L’OBSERVATION COMME CARACTERISTIQUE PRINCIPALE

D’emblée nous soulignerons que pour une adolescente, la situation de placement dans notre établissement ne produit pas qu’un éloignement de sa réalité familiale. D’ailleurs une expérience de mise à distance pourrait s’organiser sans un tel dispositif légal, ce qui se produit lorsqu’une famille élargie se mobilise pour soulager certains parents, ou dans une situation où l’adolescente est plus ou moins autonomisée (en tant que solution à un problème scolaire ou familial, abandon implicite de la part des parents ou fugue prolongée de cette jeune fille…).

En fait, on pourrait dire que la situation institutionnelle a sans doute la particularité de connoter ces nouvelles modalités de vie quotidienne par des faits d’observation et de règles de comportements.

Concernant l’observation, il faut rappeler que le temps de séjour est l’occasion pour l’hébergée de participer à deux rendez-vous avec le Juge (au début et à la fin du séjour), de rencontrer chaque semaine en entretien l’éducateur(trice) référent(e), le psychologue avec la même fréquence, et les six autres personnes de l’équipe éducative dans l’espace de vie quotidienne, lesquelles s’intéressent aussi, de manière plus ponctuelle, à sa situation et à ses attitudes.

On peut penser que tous ces moments institutionnalisés introduisent clairement pour ces jeunes filles la nécessité de témoigner de ce qui s’est passé et de ce qui se passe. Parfois jusqu’à la saturation, ces adolescentes se confrontent à ce qui apparaît du côté des professionnels comme un désir de percevoir, et bien au-delà de la question des coups vécus en famille, ce qui entraîne des effets que nous évoquerons plus loin, après cette revue des éléments du dispositif.

Et en même temps qu’un lieu d’observation, un placement de cette nature institue aussi un cadre de comportements qui n’est pas sans conséquences sur les adolescentes hébergées, suivant les possibilités et les attentes de celles-ci.

Or il faut souligner que les rendez-vous avec le psychologue n’échappent pas à ces règles instituées. Cette obligation de rencontre, qui n’empêche pas que quelque chose de l’ordre d’une demande s’exprime parfois, doit être prise en compte comme un élément du cadre de la recherche.

Ainsi les témoignages de ces adolescentes, dans un contexte de décision judiciaire assez clairement connotée de protection, peuvent-ils être vus comme l’effet d’une perception d’un vouloir entendre émanant des professionnels, et notamment du psychologue.

Aussi ces deux éléments - observation et cadre de comportements -relativisent la seule perspective d’un éloignement ou d’une rupture environnementale et ont sans doute leur effet sur les dires des adolescentes rencontrées. On pourrait avancer que ces deux premiers points sont paradigmatiques de l’ensemble des caractéristiques du dispositif, et sont susceptibles de peser sur les processus psychiques de ces adolescentes, en même temps que sur le recueil de leurs dires.

De manière analogue, cela n’implique-t-il pas une problématisation particulière des enjeux de l’entretien, lesquels connoteraient suffisamment les propos des jeunes pour que nous devions les prendre en compte dans cette recherche ? A titre d’exemple, leur nécessité de convaincre d’une violence vécue pour peser sur la décision d’orientation de l’équipe peut se révéler un élément important dans la forme de leurs témoignages…

Sans doute touchons-nous là à un problème méthodologique d’importance, que nous reprendrons plus loin à travers une évocation d’attitudes apparemment induites par la situation d’entretien.

Ce problème a sa correspondance du côté du praticien : une résolution de questions professionnelles peut ici se confondre avec l’avancée d’une recherche théorique. Comment faire œuvre spéculative dans un cadre d’étude marqué par des composantes de réalité et une commande institutionnelle aussi prégnantes ?

Nous dirons qu’il s’agit là d’une ambiguïté propre à la recherche clinique. Car le point de vue scientifique, vu le réductionnisme nécessité par sa méthode (« le choix d’un niveau de réalité, de concepts opératoires, d’un objectif restreint, d’hypothèses de travail, d’une variable et le contrôle de toutes les autres… » [O. BOURGUIGNON, 1986, p754]), paraît entrer en contradiction avec l’objet de la psychologie clinique, la personne humaine dans sa totalité. Or cet objet est lui-même constitué comme une hypothèse de recherche, dans la mesure où il implique une construction de la part de la théorie. Dans aucun cas, cette personne totale n’est donnée a priori (A. GIAMI, 1989).

Seule la mise en perspective des dires des adolescentes, de leur mode d’économie psychique, de la situation d’entretien comme élément du placement et des événements vécus antérieurement, du côté de la violence ou non, permettra d’entrevoir une certaine totalité, laquelle n’est qu’une construction de plus dans l’univers psychosocial d’une personne, ensemble trop complexe pour être saisi d’un seul point de vue. En d’autres termes, l’adolescente ne se résume jamais à la situation dans laquelle se déploient ses activités psychiques et relationnelles du moment. Mes expériences professionnelles me le rappellent régulièrement.