c - L’OBSERVATION CONSTITUE AUSSI UN CONTRE-TRANSFERT

La situation de placement est particulière en ce qu’elle matérialise pour une jeune l’intérêt que lui portent les adultes. Cela peut renforcer des mouvements de reconstruction déjà existants, qu’indique le réinvestissement narcissique opéré par certaines adolescentes. Chaque jeune fille n’est toutefois pas toujours en mesure de se représenter la dimension légale de la décision, notamment dans le cas du placement judiciaire, lequel manifeste qu’elle est un sujet de droit et non un objet de caprice ou de persécution de la part des adultes. Il est compréhensible qu’après leurs expériences familiales de violence, cette idée d’un intérêt « de droit » fasse question pour certaines d’entre elles.

C’est, à l’intérieur du dispositif de « sur-observation » décrit plus haut, une des raisons qui font que le sentiment de vivre sous le regard d’autrui produit parfois chez ces jeunes hébergées de vifs sentiments d’intrusion, lesquels s’expriment d’autant plus dans l’entretien de face à face. Mes rappels au cadre et au projet institutionnels ne contiennent pas toujours aisément l’inquiétude que cet intérêt pour elles paraît susciter parfois.

Mais ne retrouve-t-on pas ici un aspect clinique que nous devons aussi ramener à la particularité de victime des jeunes rencontrées ? Car ces attitudes spécifiques attestent probablement de la problématique de ces jeunes filles, ce qui n’est pas sans nécessité pour nous d’interroger notre dispositif de recherche. Car l’entretien, en tant qu’incitation pour ces adolescentes à investir leur fonctionnement mental, peut s’avérer pour elles une expérience persécutrice si l’on songe à une envie parfois exprimée de "ne plus penser" (à ça, à elles, à ce qui s’est passé).

Toutefois le matériel concernant la critique du ou des parents violents semble échapper à cette réticence. Probablement parce que ces adolescentes ont alors le sentiment de ne faire que « parler d’un autre », elles acceptent alors volontiers de transmettre leur vécu de leurs expériences.

Nous observons ainsi que cet effet du dispositif - un sentiment d’intrusion - n’invalide pas la possibilité de recueillir un matériel, même si en ce sens ce projet méthodologique paraît un peu paradoxal. C’est lorsque nous interrogeons le destin des objets internes de ces adolescentes que leurs sentiments d’intrusion semblent au moins fort dans les entretiens… Mais n’y a-t-il pas là un élément à analyser comme une forme de répétition ? « En reparler » peut être un moyen pour ces jeunes filles de revivre, à bas bruit, ces scènes de violence.

Enfin ce type de dispositif peut amener à craindre le sentiment adolescent que d’autres adultes, par leur regard et injonctions comportementales, tenteraient une nouvelle fois de réinstaller une situation d’emprise. Nous aurons à évoquer du côté de la honte ou du refus les réactions transférentielles de ces adolescentes à ce qui apparaît à nouveau comme une condition de répétition.

Inscrit dans un service qui développe une pratique d’orientation en équipe, notre dispositif clinique est dépendant d’un dispositif plus large, lequel ne se présente pas comme l’habituel contexte institutionnel d’une pratique psychologique.

La situation d’accueil d’adolescentes en difficultés familiales a pour conséquence d’inscrire la réalité de manière forte dans cette pratique, comme le souhait de protéger certaines de ces jeunes filles d’un retour impulsif ou forcé chez leurs parents. Cette dimension contre-transférentielle devra être problématisée tout au long de notre travail, avec la conscience que cet élément contre-transférentiel ajoute à ce possible sentiment adolescent d’emprise.