i - LA QUESTION DE L’EXAGERATION

On pourrait penser que certaines jeunes filles seraient tentées d’apporter un matériel concernant une violence familiale pour mieux nous convaincre de les héberger, délaissant après l’accueil ce qui ne serait alors qu’un mensonge facile.

Car pour l’objectif d’être accueillie dans l’établissement, "je suis tapée à la maison" serait un énoncé plus argumentatif auprès des professionnels que "je ne m’entends pas avec ma mère" ou, bien sûr, que "mes parents ne me laissent pas assez sortir". Les jeunes filles que nous accueillons le savent, comme leurs parents d’ailleurs, lesquels utilisent souvent l’explication, au sujet du départ de leur fille, de sa « recherche de liberté ».

La fonction de l’exagération pourrait donc être mise en avant dans ces situations de dénonciations de violences familiales.

Notre pratique en direction des adolescentes nous amène toutefois à faire un certain nombre de réserves sur cette notion d’exagération, ou de celle, par là sous-entendue, de fabulation. Il faudrait d’abord citer tous les cas dans lesquels la violence familiale est incontestable, qu’elle soit reconnue par la famille elle-même en tant que système éducatif, ou par les évocations des proches, ou encore par le moyen de l’enquête sociale.

Mais nous dirons que même si les propos des adolescentes sont parfois orientés de manière exclusive vers des comportements familiaux dont elles seraient les victimes, oubliant en cela la manière dont elles y sont engagées, cette notion d’exagération doit être mieux problématisée.

Car le projet de notre recherche est aussi de remettre dans une autre perspective la façon dont est intériorisée, et élaborée, l’expérience d’être battue. Or l’amplification de cette réalité - qui peut porter sur l’importance, la quantité et l’arbitraire de ce déchaînement pulsionnel - entre aussi dans une procédure nécessaire à la dynamique narcissique de ces adolescentes. Car grossir l’injustice de ces actes constitue aussi un contre-investissement efficace pour dénier la honte et la culpabilité liées à ces situations, ou tout autre représentation qui irait du côté du plaisir.

En ce sens, il ne saurait être envisageable qu’une adolescente produise ce qu’il serait convenu d’appeler un pur mensonge, c’est-à-dire sans lien avec une réalité familiale problématique. Qu’un tel cas de figure se présente justifierait d’ailleurs que cet approfondissement soit nécessaire, afin de comprendre à qui serait adressé un tel roman familial heurté, et quelle en serait la fonction.

Ajoutons que ces dynamiques d’exagération ou d’éventuel mensonge parleraient en tout cas d’une persistance de la relation avec l’objet paternel et/ou maternel, et pourraient être vues aussi comme des facteurs de bon pronostic dans la résolution d’une telle crise relationnelle.

Nous devons maintenant mieux définir notre pratique après avoir montré que nos positions de chercheur et de professionnel se superposent sur un ensemble de points. Notre suggestion est que cette pratique se définit au croisement de deux modèles d’exercice psychologique.