Nous avons précisé que ce dispositif se définissait par la mise en place d’une observation. Ceci mérite toutefois d’être approfondi, car si l’on imagine volontiers que l’existence de ce type de projet légitime l’intervention du travailleur social, et notamment des professionnels du secteur éducatif 10 , il reste à se représenter de manière plus claire la pertinence et les contours de l’intervention du psychologue. En d’autres termes, que veut ce professionnel ? Et qu’est-ce que le psychologue est chargé d’explorer et de conduire dans ce type de situation ?
Concernant ce premier point, l’analogie avec le modèle hospitalier, qui véhicule l’idée du soin, semble généralement adoptée, sinon toujours adaptée.
Notons que ce qui irait dans le sens du modèle du psychologue soignant est que le placement est généralement précédé d’événements difficiles à vivre pour ces adolescentes. La violence familiale s’accompagne généralement d’autres événements, comme des fugues, des disputes avec d’autres adultes, l’exclusion ou le départ du domicile familial. Tout cela est générateur de déceptions, de rage, de tristesse ou d’anxiété, autant d’émotions ou d’affects qu’il semble nécessaire de contenir et d’apaiser, une prise en charge a minima aidante semblant alors pertinente.
Mais parallèlement à ce qui précède, l’indication de rencontrer le psychologue ne constitue-t-elle pas, pour beaucoup d’équipes éducatives, un mode de gestion des difficultés de comportements d’adolescent(e)s hébergé(e)s ? Il faut souligner que cette prescription révèle souvent l’irritation compréhensible d’équipes voyant se répéter identiquement des troubles juvéniles quelles que soient leurs propres attitudes éducatives. Un sentiment d’échec et d’impuissance peut ainsi conditionner une indication transformant ipso facto le psychologue clinicien en psychologue magicien…
Aussi dans quelle mesure les pratiques psychologiques dans le secteur social sont-elles influencées par la demande implicite de l’environnement de faire aller mieux l’adolescent rencontré ? Dans quelle mesure sont-elles déterminées encore par une norme idéale de comportement adolescent, véritable bonne forme relationnelle à laquelle celui-ci ou celle-ci est prié(e) d’adhérer par des adultes responsables, notamment lorsque le placement constitue un moyen avec lequel se met en place une orthopédie des troubles observés ?
Si ces questions ne trouveront bien évidemment pas de réponses dans cette recherche, il nous semble utile de dire ici qu’elles peuvent avoir une conséquence sur notre objet de recherche. L’idée que la norme, à l’adolescence, est de s’entendre avec ses parents, et donc de se réconcilier avec eux pendant le temps du séjour est une représentation idéologique dont nous devrons nous garder…
Un autre profil pour le psychologue dans le secteur social peut apparaître tout aussi pertinent. C’est qu’il interviendrait ici comme expert, donnant un avis diagnostique et pronostique sur une adolescente en situation difficile.
Et c’est notamment le cas lorsque, comme ici, le Juge pour enfants propose un accueil dans un lieu de bilan/orientation, généralement pour une durée assez courte. Ce cadre est juridiquement connu : une instance judiciaire, dans une affaire à juger, commet expert un praticien qui, après examens, rend ses conclusions en réponse à des questions précises. 11
Ici, la dimension de l’aide s’effacerait derrière celle de l’avis. Le « prendre soin de » disparaît-il pour autant de la pratique psychologique ? Certes non. On peut penser que la façon de recueillir des informations sur son histoire auprès d’une personne, même dans un contexte de convocations peut être, en elle-même, porteuse d’un mouvement qui restitue suffisamment de choses pour qu’une avancée personnelle soit offerte. Car si la commande institutionnelle est faite de telle manière que le bilan et ses conclusions occupent le devant de la scène, il reste que le nombre d’entretiens (trois environ) amène le psychologue à travailler avec ces adolescentes quelque chose qu’elles ressentent bien comme un tournant de leur vie. Leur restituer quelque chose de mon sentiment et de ma compréhension est dès lors essentiel dans le cours de leur placement, avec la réserve correspondant à cette situation d’obligation.
J’entends parfois des adolescentes se plaindre que leurs parents "ne rencontrent pas de psychologue, eux". Ce propos comporte sa part de pertinence, dans la mesure où il indique que c’est la victime qui est surtout sollicitée pour comprendre.
Nous utiliserons préférentiellement le terme « éducatif », au détriment du terme « enfance inadaptée » qui est sans doute plus précis sur le plan administratif et légal, mais quelque peu connoté idéologiquement (qu’est-ce qu’une adaptation, et est-ce qu’un trouble psychique et comportemental aurait forcément à voir avec un défaut d’adaptation, notamment à l’adolescence ?). Nous pensons d’autre part que rapidement dans cet écrit la confusion ne sera plus possible avec « éducation » au sens d’ « enseignement » ou d’ « instruction »…
Précisons qu’il ne s’agit ici que d’un modèle de référence, utile pour une conceptualisation et je renvoie à la note 2 de la page 5 qui précise le cadre juridique de l’ordonnance de placement. Il n’y a ici aucune procédure qui justifierait cette pratique expertale au sens du Droit. Toutefois ce que nousproblématisons plus haut avec la notion d’évènement stigmatise par le judiciaire semble quand même s’en rapprocher suffisamment. Mais déjà, le fait que des expertises psychiatriques soient parfois demandées pour… les parents, parallèlement au placement de leur adolescente, renforce toutefois la pertinence de ce rapprochement entre évaluation et expertise.