b - CROISER AIDE ET EVALUATION

Ces réflexions décrivent dans ce dispositif un double déplacement : pour une jeune fille, transformation d’une demande s’adressant au social en une situation d’être examinée sur le plan psychologique ; pour le praticien, passage d’une pratique d’aide à une activité d’évaluation à transmettre.

En fait, cette conjoncture correspond à la spécificité de ce dispositif, qui est de se trouver au carrefour de deux types de pratiques habituelles :

D’une part le fonctionnement de l’institution hospitalière, généralement psychiatrique, qui lie au soin l’évaluation diagnostique, celle-ci ayant pour fonction de régler quelque chose pour l’équipe en terme de « distance » au patient : « On connaît les difficultés qu’il y a à se situer à la bonne place pour ne pas le rejeter ou inversement se laisser dévorer, en ayant un rôle trop fusionnel du fait des mouvements transférentiels et contre-transférentiels qui s’opèrent dans la prise en charge thérapeutique. Donc le diagnostic est d’un grand intérêt pour la thérapeutique. » [H. FLAVIGNY, 1985, p237].

D’autre part l’élaboration d’une expertise psychologique, dont la caractéristique est d’être contingente à un acte ou des faits, et l’objectif « une investigation approfondie des données intellectuelles et affectives, qu’elles soient séquellaires ou non » [D. WEBER, 1982, p453]. Et l’on peut rappeler que ce « bilan ici et maintenant » reste une rencontre qui, parce qu’elle est « inscrite dans le procès judiciaire,(…)n’a pas de visée thérapeutique » [C. BENQUE, 1989, p38].

Ainsi s’il y a évaluation, il y aurait nécessité de la situer, soit comme point de départ (d’un traitement psychothérapeutique), ou comme point d’arrivée (de faits ayant justifié une demande d’évaluation par la tutelle).

En ce sens, mon intervention de psychologue dans cet établissement parait incontestablement du côté de l’expertise, alors même que dispositif d’accueil social et projet éducatif renvoient à un modèle tourné vers le changement personnel et l’avenir.

De la même manière, l’origine du placement peut être vue comme un épisode psychosocial dans lequel interviennent instances judiciaires et/ou protectrices en référence à des événements précis et socialement connotés, ce qui va dans le sens de l’expertise. Mais les événements ayant conditionné le placement de ces adolescentes peuvent être vus comme une source d’expériences psychiques qu’il s’agit non seulement d’évaluer mais qu’il est souvent nécessaire de les aider à élaborer.

Renvoyé à un choix personnel au sujet de cette définition d’exercice (en fin de compte une articulation de modèles), nous dirons qu’une pratique diagnostique apurée de toute activité aidante n’existe pas, pas plus que n’existerait une objectivité dans l’évaluation psychologique, notion qui sous-entendrait que le professionnel ne serait pas présent dans ce qu’il attribue à la personne examinée. Ce serait oublier l’idée qu’une relation déterminée par un tel cadre professionnel est soit toxique, soit aidante, ce que l’on peut aussi traduire par : soit thérapeutique, soit anti-thérapeutique (S. BUFFARD, 1977). A fortiori dans un accompagnement de plusieurs semaines et dans des conditions aussi particulières que celles du placement, comment penser une relation avec des adolescentes sans qu’elle comporte une dimension d’aide psychologique ?

Parler de « thérapeutique » n’est pas exagéré ici, même si le cadre nécessaire à ce mode d’intervention n’est pas posé par les conditions de ma pratique, ni, de manière générale, par l’engagement conscient des adolescentes pour ce type de relation. La question reste toutefois ouverte de savoir si, face aux difficultés des jeunes filles que je rencontre, l’utilisation de la métapsychologie et le fait de porter mon attention et mes interventions sur le destin des objets internes du début à la fin du séjour constituent « l’utilisation d’une technique visant à modifier un état de choses », ce que R. PERRON définissait comme une démarche à but thérapeutique [1979, p39].

De la même façon, parler de transfert dans cette situation clinique ne nous semble pas inapproprié. D’abord parce que les adolescentes que nous accueillons dans le service réactualisent les expériences du passé sous forme d’attitudes envers les adultes ou le cadre institutionnel, ce qui constitue une partie importante de notre matériel. Mais ce qui est transféré est aussi « la réalité psychique, à savoir, au plus profond, le désir inconscient et les fantasmes connexes » [J. LAPLANCHE, J-B. PONTALIS, 1990, p497]. Nous pensons pouvoir mettre cela en évidence.

Toutefois la question de l’utilisation du transfert reste ouverte concernant notre dispositif clinique. Observons qu’il reste peu verbalisé par les adolescentes, plus agi dans des mouvements massifs de séduction ou de rejet à mon égard. Ce transfert pourra être ici même décrit et interprété. La névrose de transfert, elle, appartient à la pratique psychanalytique dont elle est un élément organisé, et n’entre évidemment ni comme une occurrence ni comme une mission dans ce qui peut être apporté à ces jeunes filles, convoquées à ce travail de symbolisation sur un temps excessivement court.