I - 3 - Cadre de référence théorique

I - 3 - 1 - Nos concepts

a - LE CONTENU DE NOTRE CONCEPTUALISATION

C’est par une revue de définitions centrées sur deux questions qui intéressent de très près notre thème de recherche que débutera cette troisième partie de l’exposition de notre problématique. Le toucher sera d’abord évoqué dans ses dimensions symboligènes ou destructrices, puis nous justifierons que le concept de maltraitance puisse être évoqué pour une recherche mettant en scène une violence familiale en direction des adolescents.

Cette notion d’adolescence, qui est évidemment essentielle pour notre matériel, sera ensuite évoquée à travers l’expérience de la puberté, ce qui inclura d’articuler ces deux notions. Avant même de développer les grands aspects de la théorie de l’adolescence, nous décrirons à quel point les transformations physiques de cet âge confrontent l’adolescent à la nécessité d’une réappropriation de son corps, nouvellement formé et lui étant ainsi devenu étranger. Un autre enjeu d’appropriation apparaît dans la mesure où ce corps doit être en outre arraché à l’emprise des parents, celle-ci d’autant plus forte que le développement pubertaire n’est pas sans incidence sur les fantasmes de ceux-ci concernant la potentialité de réalisation sexuelle.

Ici doit se poser d’ailleurs la question d’un véritable abandon de l’économie libidinale de la latence, marquée en son temps par une« organisation « anti-pulsionnelle » ou de répression de la décharge pulsionnelle… » [R. ROUSSILLON, 1999a, p13], question que nous évoquerons dans un seconde partie avec la vision d’un destin de la latence à l’adolescence, que nos hypothèses constituent comme un des objets de la recherche. Notre propos tentera d’ailleurs de montrer lors de cette partie théorique que cette présence est universelle, ce qui introduit à l’idée qu’il n’y a pas de position purement adolescente, mais un va-et-vient incessant entre différents modes de décharge. Les types d’élaboration persistent au cours de toutes les étapes de l’évolution, et les mouvements juvéniles ne manquent pas de faire régulièrement retour à ceux-ci, comme une mise en latence temporaire des éléments qui font problème à l’adolescence.

Une troisième partie présentera à travers plusieurs auteurs de référence une revue de questions concernant l’adolescence. Nous ne prétendons pas rendre compte de la pensée de chacun de ces auteurs sur ce sujet précis, mais formuler les grands axes d’une théorisation actuelle qui nous permettra de situer notre propre réflexion au long de ce travail de recherche.

Ainsi le concept de « pubertaire » conçu par P. GUTTON, P. JEAMMET et la problématisation d’un jeu adolescent sur l’axe narcissique/objectal, le processus de subjectivation évoqué par R. CAHN, F. LADAME et son point de vue sur l’adolescent pris entre rêve et action, puis R. ROUSSILLON et la question d’une puberté inaugurant un nouveau mode de décharge pulsionnelle, enfin M. LAUFER et la notion de « fantasme masturbatoire central » en seront les références constitutives.

La spécificité de notre matériel nous amènera dans un quatrième temps à interroger la notion de féminité, ceci dans une certaine diversité théorique. Nous aurons soin de différencier le féminin du maternel, s’agissant souvent, entre filles et mères, de relations marquées de rivalité et de conflits, lesquels ont trait à l’identification et à la séparation. Les notions de passivité, de réceptivité et d’accompagnement maternel seront au centre de cette revue, qui s’attachera à décrire une double modalité dans l’accès à la féminité. Un point particulier apparaîtra enfin autour du maternel archaïque, véritable noyau originaire anxiogène dont bon nombre d’attitudes familiales contestent le retour, au nombre desquelles la violence faite aux femmes et aux filles.

La notion de traumatisme à l’adolescence paraît elle aussi centrale pour un tel thème de recherche. Cette notion sera opposée à celle, plus universelle, de crise de l’adolescence, liée au remaniement de l’organisation psychique à cet âge. Le point de vue que nous défendrons est celui-ci : c’est l’échec de ce remaniement qui produirait un traumatisme.

Cette revue théorique n’inclura pas de réflexion sur les notions de suicide et de tentative de suicide, ce que nous renvoyons à notre dernier chapitre consacré à la discussion des hypothèses. Nous nous réservons en effet, à partir de notre clinique, de dire ce qu’il en est d’une volonté de suicide chez les deux jeunes filles concernées. D’accord avec X. POMMEREAU lorsqu’il écrit que « à travers leur coma toxique, la plupart des jeunes suicidants n’ont pas tant pour objectif de s’éliminer, que d’escamoter « cette vie-là » qui les fait tant souffrir, dans l’espoir de se reconstruire, de renaître après une fin qui ne serait que momentanée » [1997, p220], nous faisons le choix d’étayer sur notre réalité de praticien nos appréciations sur la valeur auto-agressive des actes suicidaires de nos deux cas cliniques.