c - UNE VIOLENCE « NORMALE »

C’est pourquoi nous devons formaliser ici quelques éléments différenciateurs au sujet de ces manifestations de violence donnée, et de violence reçue. Certes, nous nous intéressons ici à cette dernière notion, et notamment dans ses modalités de représentation, mais nous ne pouvons ignorer le fait que cette violence n’est que rarement reçue dans une compréhension du sens qu’elle possède pour l’agresseur, à supposer qu’elle puisse être toujours reliée à un sens. D’autre part l’éventuelle élaboration psychique du fait d’être battue n’est pas totalement assimilable, loin s’en faut, à la perception que l’agresseur avait l’intention de faire souffrir.

Stéphanie, seize ans et demi :

- Oh mais ça va pas non ? Y a taper et taper, quand même. Y a des trucs normaux, et pis des trucs… c’est fou, quoi !

Aurélie, treize ans et demi :

- Ma mère elle me l’a dit, je te taperai jamais. C’est vrai, elle me tape pas. Une gifle de temps en temps, quoi… comme tous les parents, quand ils sont énervés ! Mais taper, non ; j’ai confiance en elle.

Q - Une gifle, c’est pas taper ?

- Non !! Taper, c’est comme mon père. Il me donne des coups ! Et en plus il m’insulte, grave : "Tire-toi connasse ! On n’aurait jamais dû t’avoir ! Quand j’te vois j’ai envie de vomir !" Il me dit des insultes qu’aucun père ne dit à sa fille.

Pour cette dernière jeune fille, la nature des coups (une méthode pour chacun des parents) importe finalement peu. C’est la violence verbale du père qui semble surtout faire la différence, alors que la promesse maternelle, pourtant contradictoire avec la gifle, paraît rassurer Aurélie sur les bonnes intentions de sa mère. Mais encore la violence paraît-elle reprise dans le mouvement libidinal de cette préadolescente, qui appuie sur ces injures une position d’exception personnelle dans le rejet-désir du père.

Pour Stéphanie, la violence est manifestement concevable ; elle a ses degrés, sa normalité et ses limites. Ainsi des distinctions peuvent s’entendre chez beaucoup de jeunes filles que je rencontre : certains coups sont « mérités », ou « normaux », et il n’y aurait pas lieu de s’en plaindre. Et si dans la situation clinique j’amène quelques réserves sur ce point, des exemples sont toujours donnés pour démontrer que les coups facilitent le retour à la normale après une transgression, ou une étourderie. A l’opposé, d’autres coups sont "méchants", ils manifestent non pas le rappel du cadre, mais le « plaisir de taper ». Certaines jeunes vont jusqu’à retrouver les deux mouvements dans la même séquence de violence familiale : "J’avais fait une connerie, d’accord, mais oh ! avec la ceinture ! c’est trop, lui, eh !" Cette réflexion, si elle reconnaît bien la valeur de punition de certains châtiments corporels, tend à dénoncer ce qu’ils recouvrent ensuite lorsque c’est le sadisme de l’adulte qui apparaît.

Alors acceptons temporairement que c’est la manière avec laquelle l’adolescente éprouve le désir d’un familier à son égard qui conditionne la qualification des coups. Nous aurons soin de mettre cette idée à l’épreuve de notre matériel clinique.

Nous devons rappeler d’ailleurs que la perception de la violence est éminemment subjective, et que ce qui est violent pour un sujet pouvant ne pas l’être pour un autre. La violence doit donc être référée à une histoire individuelle, ainsi qu’à un contexte situationnel.