e - LA NOTION DE MALTRAITANCE

On trouvera en annexe 2 une définition de la notion de maltraitance, réalisée par l’Observatoire De l’Action Sociale. Il s’agit pour nous de situer dans le contexte « légal » de cette notion les attitudes dénoncées par les adolescentes que nous évoquerons supra, la construction de notre objet de recherche requérant une telle légitimation, et même si le sentiment d’être maltraitée nous semble en partie indépendant du fait que les attitudes offensives appartiennent ou non à une telle nomenclature.

A ce sujet, nous pourrions faire l’observation que si le fait que des enfants soient maltraités n’est un doute pour personne - les innombrables références bibliographiques à ce sujet en témoignent -, il ne semble pas en aller de même au sujet des adolescent(e)s. On peut écrire en effet que les enfants victimes de violence « font l’objet dans la presse de compassion - ce qui est bien - mais [que] ce n’est pas le cas pour les adolescents. » [P. COURTECUISSE, 1993, p24]

Certes « les traumatismes physiques, lorsqu’ils sont présents, sont habituellement moins graves sur le plan clinique » [Ibid.] pour les adolescents. Or « si la littérature insiste largement sur le très jeune âge des victimes de maltraitance — c’est notamment dans cette tranche d’âge que l’on trouve la très grande majorité des décès liés à des sévices - force est de reconnaître que les adolescents n’y échappent pas. » [C. REY, H. ROSEN, 1995, p41] Sans doute devons-nous réfléchir à cet état de fait. Il corrobore ce que nous avons observé dans bon nombre de conversations privées au sujet de notre thème de recherche. Les représentations apparaissent souvent clivées et construites autour de deux stéréotypes : « l’enfant vulnérable et sans défenses face au sadisme des parents », « l’adolescent(e) parfois victime, parfois provocateur, mais susceptible de se défendre des excès de violence familiale ». En somme, plus on avancerait en âge, moins la notion de maltraitance serait pertinente… jusqu’à penser que rester à la maison dans de telles conditions équivaut à un accord tacite de l’adolescent(e) pour subir voire entretenir la violence familiale. Or même si cette représentation mérite d’être interrogée (elle ne peut être a priori rejetée), son aspect défensif face à la souffrance de chacun dans ce type de situation ne peut échapper à quiconque.

Il faut rappeler ici que « dans la presse grand public, il est toujours fait état des adolescents auteurs de violence, alors qu’il est tout à fait exceptionnel qu’il soit fait état des adolescents victimes de violences. » [P. COURTECUISSE, op. cit.] Nous pensons que l’image de l’adolescent violent, aujourd’hui rejointe par l’image de l’adolescente violente (la « femme pirate ») nuit à la compréhension des processus psychiques à l’œuvre dans ces situations de violences familiales, comme un filtre qui stigmatiserait les adolescents pour l’ensemble de leurs expériences, y compris celles dans lesquelles ils ou elles sont victimes de violence.

D’autre part lorsqu’il s’agit d’adolescents, les situations de violences dénoncées s’accompagnent souvent de difficultés comportementales qui rendent difficile l’évaluation des interrelations en cause. On peut parler de « mal à l’aise » [C. REY, H. ROSEN, op. cit., p43] pour les intervenants, parfois sommés de choisir entre l’un ou l’autre des « camps » et susceptibles de se représenter des relations symétriques entre les deux générations, ce à quoi amènent « certaines formes de réductionnisme systémiques qui oublient les rapports de force à l’intérieur d’une famille. »[J. BARUDY, 1992, p367]

Enfin nos mouvements contre-transférentiels sont à interroger aussi. Nous avons tous été des adolescent(e)s aux prises avec une violence interne que notre environnement a eu à subir et/ou à contenir. L’apparition d’un(e) adolescent(e) victime de violences familiales peut susciter en chacun de nous un déni de sa réalité et de sa détresse au nom de notre culpabilité à avoir été violent avec nos proches au temps de notre propre adolescence, voire au nom de ce qui a pu être ignoré par le social des violences que nous avons eu à subir (ou que nous avons eu le sentiment de subir), lesquelles ont participé à notre construction psychique, tout ceci pouvant être difficile à réinterroger à l’âge adulte.