f - LA QUESTION « CULTURELLE »

C’est pourquoi nous ne serions pas complet dans ce préalable si nous n’évoquions pas l’importance des modèles éducatifs pour les parents dont nous parlerons infra. Car un certain nombre de parents, d’origine musulmane pour l’essentiel, relient volontiers leurs attitudes violentes à leur propre éducation : "Mais moi, j’élève mes enfants comme mes parents m’ont élevé ! Ça n’a pas donné de si mauvais résultats !". "En France, on peut rien faire ! Si je donne une gifle à ma fille, elle m’emmène chez le Juge ! Alors je peux faire quoi, moi, quand elle m’écoute pas ? Elle le sait que c’est comme ça que ça marche chez moi. Alors elle me provoque…" Ici, les coups ne remplacent pas forcément les mots, et il serait simpliste de les opposer.

Nous essaierons donc, au cours de cette recherche, de ne pas renvoyer chacun à cette « relativité culturelle », qui considérerait le fait de frapper les adolescentes comme une violence « légitime », plus proche de la reproduction sociale que de la répétition pathologique. Au-delà du fait de bien garder à l’esprit que ce sont les processus psychiques des adolescentes qui nous intéressent d’abord, nous devons en effet souligner plusieurs choses qui nous semblent expliquer cette hypothèse courante.

D’une part, il existe certainement une plus facile administration des châtiments corporels à l’encontre des enfants (pré-pubères) dans les familles d’origine musulmane. Sauf portant électivement sur un enfant dans une fratrie, ces attitudes brutales semblent plutôt à référer à leur contexte traditionnel, lequel renvoie à la préservation d’un lien de filiation. D’autre part nous devons souligner aussi que la culture musulmane installe, un peu plus que la société occidentale (ou de manière plus claire que celle-ci), une domination sociale de l’homme sur la femme à travers un ensemble de rôles et d’attitudes assez strictement attendus chez celle-ci.

C’est au croisement de ces deux notions (châtiments corporels et domination sexuée) qu’une certaine agressivité familiale portant sur les adolescentes peut être observée, dans l’extension des châtiments corporels sur des jeunes filles qui refusent de rejoindre un profil féminin qu’elles jugent trop contraignant, et dans un contexte d’immigration qui porte sa propre part de fragilisation de ces valeurs. Car ces jeunes filles voient leurs parents se débattre parfois dans des effets de contradictions au regard des repères de leurs origines, cette « question culturelle », pour être traitée, devant faire considérer ce que la culture d’accueil transmet sur l’éducation, pesant sur les attitudes de ces parents, et interrogeant enfin leur fidélité aux valeurs de la génération précédente, et partant, leur propre identité.

Par ailleurs devrait être interrogé à ce sujet le rapport d’une famille qui émigre à sa propre culture, et qui ne peut être dissocié de son origine sociale ainsi que de ce que cette émigration peut indiquer de difficultés d’intégration dans sa société d’origine. Partant, les familles que nous rencontrons sont-elles représentatives de cette « culture » si souvent mise en avant, et ne peut-on pas dire qu’elles témoignent par leur traitement des adolescentes une recherche désordonnée de l’ancrage culturel qui fait défaut à ce moment de leur histoire ?

Nous verrons finalement que nos situations débordent de la seule notion d’agressivité, témoignant du fait que la violence familiale se produit souvent lorsque les éléments culturels sont mis à mal par les acteurs en présence, entrant alors dans des attitudes personnelles qui ne font plus guère de place à la tradition. Ainsi une compréhension ne nous paraît pas pouvoir se passer de la question de l’expression pulsionnelle, hors du champ de la culture, et que nous verrons apparaître dans nos expositions cliniques.

Enfin il nous semble que pour être pertinente, cette notion de « culture » doive être admise par les enfants et les adolescents qui sont les cibles des coups, en tant qu’élément d’un système globalement juste, et non comme l’effet particulier de l’arbitraire et du sadisme d’un seul parent. Nous retrouvons là ce que nos vignettes du paragraphe I-3-2-c introduisaient supra comme jugements différenciés sur une agressivité parentale normale et une violence physique qui ne le serait pas.