c - Raymond CAHN : le « processus de subjectivation »

C’est autour de cette confusion potentielle générée par le travail adolescent sur les objets et leurs représentations que R. CAHN trouve une spécificité à l’adolescence : « … la contrainte nouvelle à la fois interne, pulsionnelle, et externe, de l’environnement, des objets, viendra ratifier, consolider, remettre en cause ou modifier plus ou moins radicalement les modalités antérieures du processus de subjectivation, lequel est un processus de différenciation bien davantage qu’un processus d’individuation-séparation. » [1998, p51] Ce processus de subjectivation, pierre angulaire de la théorisation menée par R. CAHN, est proposé comme un modèle de progressivité psychique de la naissance à la mort, dans lequel un rôle non négligeable est tenu par l’adolescence. Ce processus « se révèle tout particulièrement décisif certes lors des premières années, mais aussi à l’adolescence, en ce temps de remaniement et de phase provisoirement conclusive qu’elle représente à travers les angoisses identitaires et la qualité à la fois hyperexcitante et hypermenaçante de l’objet. » [Ibid.]

En situant ce processus de subjectivation dans une dimension de continuité vitale, R. CAHN modère pour sa part la vision d’une adolescence «faisant rupture», son approche privilégiant une «fonction sujet» dans l’appropriation, l’amortissement et l’intégration du nouveau à l’ancien. Notre intérêt pour cette conceptualisation se justifie notamment lorsque le travail de l’adolescence créative est présenté comme « … une démarche de désengagement, de désaliénation du pouvoir de l’autre ou de sa jouissance et, par là même, de transformation du Surmoi et de constitution de l’Idéal du Moi. » [op. cit., p52]

Avançons aussi que la notion de transitionnalité peut être vue comme la base théorique de cette conception dans ses aspects de créativité - aussi bien d’auto-créativité que de création de l’objet par le sujet -, notamment lorsque l’adolescent est confronté à la remise en cause massive de ses repères antérieurs, identificatoires ou cognitifs. C’est alors tout un système de croyances qui vacille chez le sujet adolescent, ce qui fait écrire à R. CAHN que « La pathologie de l’espace transitionnel, si elle peut revêtir bien des aspects, est donc d’abord celle de la croyance, dans le rapport causal que fonde et déploie cette dernière entre la conflictualité personnelle et la relation au monde, même si s’avère déterminant le va-et-vient introjectif et projectif entre les deux pôles. » [1994, p27]

Nous retrouvons là la problématique d’une nécessaire articulation des objets internes et externes et de leurs représentants à l’adolescence, tant cet âge est celui de la crise narcissique et de la crise des objets et de leur statut. En prolongement, la théorie de R. CAHN donne à comprendre l’enjeu majeur de cette période, habitée d’une crise existentielle dont le travail sur les objets n’est peut-être que l’indicateur : « Ainsi, la quête adolescente nous confronte-t-elle à un problème fondamental qui est le sens à donner à la vie. Nous avons vu à ce propos le rôle déterminant, dans les civilisations archaïques, des rites de passage permettant à l’adolescent de revivre les mythes collectifs et de s’y insérer. C’est bien la force prodigieuse du mythe (…) que de s’enraciner à la fois dans la psyché et dans la réalité extérieure, naturelle et culturelle. » [1980, p541]