e- René ROUSSILLON : l’ « acte de symbolisation »

La question de la décharge et celle de l’orgasme occupe aussi le point de vue de R. ROUSSILLON qui relève que la puberté inaugure un nouveau régime pulsionnel, avec en toile de fond la nécessité de découvrir et de s’approprier de nouvelles issues qui diffèrent des modes de décharge utilisés par l’enfant de la latence. La découverte de l’orgasme à la puberté, ou plus précisément la « survenue de la potentialité orgasmique » [1999a, p10] vient en effet marquer une nette opposition entre deux époques de la vie. Cette rupture « surgit de l’effet de la différence de génération sur le sexuel », elle est en cela à la croisée de « la différence des sexes et de la différence de génération qui sont elles souvent au centre du travail de théorisation. » [Ibid.] Prise dans cette bascule entre sexualité infantile et sexualité adulte, la potentialité orgasmique constitue l’objet d’un travail spécifique de l’adolescence, face à l’obligation de se réorganiser après une telle remise en cause.

R. ROUSSILLON note que cette survenue amène l’adolescent à se confronter à une véritable désorganisation : « Elle provoque une crise de l’ensemble de la régulation psychique et de la « gestion » des solutions proposées aux poussées pulsionnelles, mais elle provoque aussi une crise des modalités de la symbolisation, de son économie d’ensemble. » [op. cit., p11] Toutefois faut-il observer que cette crise, malgré ces effets de disqualification des solutions antérieures, installe parallèlement un autre rapport à la satisfaction pour le sujet, et, partant, une avancée décisive dans la levée de cette « énigme de la sexualité conservée en souffrance au sein de la sexualité infantile. » [op. cit., p14] En effet, « L’enfant perçoit que l’effort de théorisation et d’intégration qu’il peut produire pour tenter de rendre compte et signifier les mystères et complexités de la sexualité, est affecté d’une insuffisance essentielle que la théorie de la castration ne peut que tenter d’approcher. » [op. cit., p15] C’est donc bien en ce sens que la problématique de l’adolescence peut être qualifiée de crise, lorsqu’elle propose au sujet, parallèlement au danger lié à la désorganisation de ses modalités de symbolisation, une telle opportunité pour la résolution des secrets qui entourent la sexualité adulte dans les représentations de l’enfant. 

La survenue de cette « potentialité orgasmique » et le nouveau régime pulsionnel installé par la puberté comporte enfin une autre conséquence, que R. ROUSSILLON qualifie d’ « expérience fondamentale de l’adolescence » [op. cit., p20], et qui concerne précisément le rapport du sujet à l’acte, ou à l’action. Cette notion est ici mise en articulation non avec celle de « rêve », mais avec celle de symbolisation, le point de vue étant que la puberté amène l’adolescent à symboliser pour ne pas être contraint d’agir, à la différence de l’enfant qui symbolise parce qu’il ne peut pas agir. Et si l’on peut effectivement avancer que l’enfant n’est pas dans une si grande impuissance, R. ROUSSILLON rappelle que « bien sûr cet enjeu n’est pas absent de l’enfance mais dans celle-ci les intensités sont plus modérées, nécessairement modérées du fait de l’immaturité pulsionnelle… » [Ibid.], cet aspect quantitatif s’ajoutant à la dimension qualitative recouverte par la réactivation de la génitalité.

Dès la puberté, les processus de pensée doivent inclure quelque chose de cette possible effraction provenant de l’intérieur que constitue l’introjection pulsionnelle. Cette introjection impose ainsi que l’adolescent symbolise ce qui attaque son activité de symbolisation, n’agisse pas ce qui agit en lui, et trouve ainsi dans la potentialité orgasmique une solution à ce paradoxe : « L’orgasme en effet transitionnalise potentiellement l’introjection pulsionnelle, transitionnalise potentiellement l’opposition de la vie et de la mort 18 , du Moi et de l’autre, de la pulsion et du narcissisme, de l’individu et de l’espèce. » [Ibid.]

De ce fait la symbolisation ne peut rester identique à elle-même dans ce passage de la sexualité infantile à la sexualité adulte, l’écart consistant en ce que la symbolisation intègre dans son accomplissement la possibilité adolescente d’agir, sous la forme d’un « acte de symbolisation » [op. cit., p21] qui permet au sujet de « jouer pour de vrai, jouer pour le vrai, symboliser pour vivre et non symboliser à la place de vivre, jouer à la place de vivre, telle serait sans doute la leçon que l’adolescence apporte à la symbolisation. » [Ibid.]

Notes
18.

Note de l’auteur : ROUSSILLON (R), 1999, "Paradoxe et pluralité de la pulsion de mort", in L’invention de la pulsion de mort, Paris, Dunod.