b - LA PUBERTE DANS LES CONDUITES DE L’AUTRE

C’est pourquoi, même si les impératifs éducatifs ont leur pertinence dans certaines assignations parentales ou familiales, et notamment en terme de protection face aux dangers extérieurs, nous ne pouvons ignorer à travers ces observations que la féminité semble faire vivre aux hommes de la maison - voire aux mères relayant la domination masculine - une somme d’excitations psychiques les renvoyant à des pulsions agressives et libidinales spécifiques.

Et nous ne pouvons que suivre F. COUCHARD lorsqu’elle dit : « Il est évident que les coups donnés par certains pères à leur fille, alors adolescente, semblent parfois adressés à un autre destinataire qu’à celle-ci et notamment au démon que toute femme, par son pouvoir de séduction et par son insatiable appétit sexuel, symbolise et qui la rend si menaçante au regard masculin. » [1993, p736] On observera que c’est jusqu’aux fantasmes paternels concernant la féminité et ses composantes sexuelles que l’adolescente paraît devoir gérer ainsi.

Cela recouvre d’ailleurs le point de vue de D. W. WINNICOTT lorsqu’il écrit que ce qui compte dans les problèmes qu’affrontent les adultes et les adolescents c’est « l’impact de l’un sur l’autre, de l’adolescent et du parent. » [1962, p263]

Il s’agit d’un aspect qui peut être évoqué ici sous la forme de la mobilisation psychique des parents confrontés à l’accession de leur fille à la puberté et à l’adolescence. Un propos de M. COURNUT-JANIN nous paraît magistralement résumer ce problème : « Le consensus tacite et inconscient d’une latence commune se trouve rompu ; ici, la situation classique s’inverse : les enfants sont maintenant dans la chambre et les parents à la porte, tout contre. Ce sont les parents qui dès lors se posent des questions et élaborent, tant bien que mal, des théories sexuelles… parentales. » [1988, pp302-303] C’est le destin de ces « théories » qui nous intéresse ici, et qui, du refoulement au passage à l’acte violent, se donne comme un ensemble de possibles que les adolescentes elles-mêmes ont à intégrer à leur propre travail psychique. Ce que nous écrivions page 33 sur l’utilisation phallique du corps par l’adolescente entre dans cette perspective relationnelle, ce qui inclut « … les ravages narcissiques que provoquent les scènes paternelles lors du premier essai, toujours maladroit, de maquillage, ou lors de premiers appels téléphoniques de garçons. » [F. DOLTO, 1982, p108]

Bien sûr, la violence agie ou cautionnée par certains parents entre dans ce continuum. Les adolescentes peuvent alors avoir l’impression qu’elles déclenchent une telle excitation chez l’autre que celui-ci ne peut plus la contrôler ou la limiter. C’est aussi ce que F. COUCHARD souligne lorsqu’elle écrit que « L’expression de cette violence fait sortir, et l’agresseur et l’agressé, des limites de l’élaborable, les rendant méconnaissables l’un à l’autre. Des affects d’étrangeté, de trouble et de grande ambivalence peuplent, en effet, les souvenirs des femmes évoquant ces scènes de leur passé. » [1993, pp736-737]

Devons-nous rappeler ici que le maniement de l’agressivité est un des enjeux de l’adolescence, et qui nécessite, pour être intégratif, de se produire « dans un climat qui doit rester globalement positif. » [P. JEAMMET, 1980a, p77] Or non seulement le déchaînement d’agressivité de l’entourage apparaît sans beaucoup de limites, mais il est produit par ceux dont l’adolescente attend précisément une aide pour contre-investir sa propre poussée d’agressivité pulsionnelle. L’objet manifeste alors les mêmes caractéristiques que la pulsion ; celle-ci est en quelque sorte renforcée par le monde extérieur, tout comme la violence environnementale paraît justifiée par le monde fantasmatique de l’adolescente. « Quelque chose d’elle-même est à ce point attractif, irrésistible pour les proches qu’il les transforme en agresseurs » pourrait être une représentation de cette situation intersubjective chez l’adolescente battue…

Ici, c’est la féminité qui se fait séductrice, renversant quelque peu le premier rapport de séduction que l’objet exerce sur l’enfant. Toutefois cette séduction entre-t-elle bien dans le cadre des satisfactions narcissiques que nous avons évoquées comme habituelles à l’adolescence ? Nous pourrions répondre rapidement que le déplaisir exprimé après ces expériences de violence ne semble avoir guère de rapport avec les bénéfices attendus des premiers moments de séduction adolescente.

Mais ce serait revenir à un point de vue bien mécaniciste, qui ferait la part belle au seul principe de plaisir, et qui négligerait le fait que les attitudes adolescentes que nous observons paraissent parfois encourager de tels moments d’affrontement. Bien sûr, ce qui apparaît alors comme une compulsion au conflit pointera à l’intérieur de notre clinique, y compris dans les éléments transférentiels dont nous ferons état. Une telle question nous amènera d’ailleurs à interroger les notions de traumatisme et de masochisme à l’adolescence dans le cours de cette partie conceptuelle.