h - OUVERTURE, FERMETURE ET ESPACE INTERNE

On peut d’ailleurs observer que ce point de vue freudien organisé par l’absence de pénis chez la femme avait d’abord été précédé par une autre approche de la féminité, comme si trois périodes se succédaient dans sa pensée : « Curieux effet de contraste : les femmes dont la parole est recueillie dans les premiers textes freudiens ne souffrent pas d’un manque, mais au contraire d’un trop-plein qui, lors d’une expérience traumatique, s’est incrusté dans le psychisme. » [M. SCHNEIDER, 2002, p70] Nous ajouterons que c’est le passage de la théorie du trauma à celle du fantasme qui peut avoir occasionné ce changement de point de vue chez FREUD.

Car la théorie soutenue jusqu’à l’abandon de la Neurotica en 1896 est construite sur une représentation du matériel pathogène vu comme un corps étranger, l’objectif étant de faire sortir - « extirper » [1895b, p235] écrit FREUD - les représentations qui s’attachent à la séduction de l’enfant par l’adulte.

Le féminin qui souffre, souffre en fait de l’effraction de son espace interne par ce noyau pathogène, espace secondairement théorisé autour de ses possibilités de s’ouvrir ou de se fermer aux intrusions potentielles de l’environnement. Les métaphores utilisées par FREUD pour penser les processus vont d’ailleurs dans ce sens lorsqu’il compare la complexité du matériel pathogène et « l’étroitesse de la conscience » en interrogeant « comment pareil chameau a pu passer par ce trou d’aiguille. » [Ibid.] Puis la conscience est décrite comme un « défilé » pouvant être « obstrué » par la résistance au travail de la cure…

M. SCHNEIDER observe dans un autre texte que FREUD avance au sujet du travail thérapeutique l’idée d’une « admission », le sujet devant accepter « … une nouvelle représentation (le mot acceptation étant pris dans le sens de créance, de reconnaissance d’une réalité). » [S. FREUD, op. cit., pp216-217] M. SCHNEIDER précise que cette notion d’admission apparaît aussi dans « Les théories sexuelles infantiles » pour désigner l’accomplissement destiné au vagin, c’est-à-dire à « la cavité qui reçoit le pénis » [S. FREUD, 1908b, p21]. « La possibilité d’une telle « admission » préside en effet à la naissance de chacun. Il s’agira donc, dans la reprise, sur le plan psychique, d’une telle adoption, de s’inscrire dans le sillage d’une originaire opération d’admission. Opération qui obéit ainsi à un paradigme féminin-maternel. »[M. SCHNEIDER, 2000, p140]

C’est la notion d’ouverture qui sera reprise par J. SCHAEFFER dans un point de vue dans lequel la femme hérite du « féminin » à l’occasion de sa relation avec son amant. Observant que la pulsion sexuelle est contradictoirement « à la fois ce qui nourrit et effracte le psychisme » [1999, p30], J. SCHAEFFER, inscrivant l’envie du pénis dans une prévalence de la complémentarité sexuelle, donne à l’homme le rôle de porter la poussée libidinale « dans le corps de la femme, pour ouvrir, créer son « féminin » en le lui arrachant » [op. cit., p31]. C’est pourquoi cette conceptualisation fait la part belle au conflit dans la psychosexualité féminine, conflit « entre libido et analité » [Ibid.] parce que le moi résiste à l’effraction en mettant en avant ses défenses anales, mais aussi conflit « constitutif, qu’elle [la femme] le dénie ou non, de la sexualité féminine : son moi hait la défaite, mais son sexe la demande, et, plus encore, l’exig e. » [op. cit., p32] Notons que J. SCHAEFFER donne à la relation avec le partenaire une importance primordiale dans cette ouverture à la génitalité, écrivant que « … l’effraction par la poussée constante de la libido s’avère plus facile pour le sexe de la femme, dont c’est le destin d’être ouvert (…) parce qu’elle y est aidée par l’homme… » [Ibid.]

C’est pourquoi nous poserons ici que le concept d’activité à but passif était peut-être aussi une façon pour FREUD de conserver vivante à l’intérieur d’une théorie de la féminité la représentation de cette ouverture-fermeture et au-delà, l’idée que le féminin peut aussi se spécifier par sa lutte contre l’appropriation de son espace ou de ses espaces internes par l’objet effracteur, réintroduisant la question de la limite à cette passivité. Ainsi le risque de l’emprise s’attache au féminin tout autant que la réceptivité, et ce fait n’est pas absent de la « seconde » théorie de FREUD sur cette question.

Rappelant qu’une réflexion sur le couple actif-passif intègre « un renversement des positions respectives du sujet et de l’objet qui ne peut se concevoir hors d’une dynamique du fantasme » [1999, p1640], M. PERRON-BORELLI note d’ailleurs que l’activité est liée dans ce contexte « à la pulsion d’emprise et la passivité à l’investissement narcissique de la dépendance originelle à l’objet. » [op. cit., p1641] C’est la question d’un rapport ambivalent à l’objet qui est posée ainsi, proposant, plutôt qu’une opposition, un rythme d’investissements actifs et passifs propre à chacun.

Enfin soulignant que la visibilité des organes génitaux masculins et l’invisibilité des organes féminins a des effets sur les fantasmes de chacun, J-M. QUINODOZ fait la supposition que, « au-delà des répercussions sur le sujet lui-même, la nature dissimulée de la sexualité féminine [a] également des conséquences sur ce que la fille « donne à voir » de sa sexualité féminine, ainsi que sur la manière dont celle-ci est appréhendée par des personnes de l’entourage… » [1998, p1793] Ne peut-on pas dire que cette « dissimulation » est une des raisons qui font que dans les fantasmes masculins - et la position des pères ou des frères dans notre clinique irait dans ce sens - la féminité peut être vue comme un espace à contrôler ?