k - LA MERE ET LA DIFFICULTE DE S’EN DETACHER

Tous les courants théoriques évoquent unanimement l’agressivité de la fillette pour sa mère en la reliant à une revendication - phallique ou féminine -, mais aussi à la situation de maternage elle-même.

Car si, parallèlement à l’hostilité, FREUD va jusqu’à parler de haine de la petite fille pour sa mère, c’est qu’au-delà de l’insatisfaction d’être « incomplète », il observe que son amour primaire pour la mère comporte une condition qui ne se trouve pas chez le garçon. « Elle avait pour objet premier sa mère » [1931, p139] : c’est ainsi que FREUD, dans son article sur la sexualité féminine, commence à décrire le cas de la fille, présentant cette réalité objectale comme une difficulté particulière. Car derrière cette constatation qui ne différencie pas encore le garçon et la fille pointe le fait que cette identité de genre rend les choses plus difficiles pour celle-ci. C’est que la relation de la fille à sa mère supporte à elle seule tous les mouvements constitutifs de la psyché - agressivité, libido et identification s’adressant au même objet - ce qui rend la séparation plus délicate que dans le cas du garçon. De ce fait, « On repère assez vite les inconvénients de ce prolongement des expériences fusionnelles primaires et, notamment, les conséquences sur les conflits dépendance-indépendance, activité-passivité. » [F. LADAME, 1983, p222]

De façon plus générale, FREUD souligne que cette relation primitive à la mère peut n’être jamais surmontée. D’ailleurs à le lire sur cette question, on peut se demander si la libido ou l’agressivité ressenties par la fillette en direction de quiconque, à commencer par le père, ou toute relation familiale ou sociale ultérieure, ne portent pas l’empreinte, à peine déformée, de cet antagonisme originaire. D’ailleurs pour FREUD, c’est le mari qui est souvent l’objet d’un tel déplacement : « Beaucoup de femmes (…) répètent sur lui dans le mariage leur mauvaise relation avec leur mère. Le mari devait hériter de la relation au père et il hérite en réalité de la relation à la mère. » [1931, p144] Mais qu’est-ce qui est spécifique à la petite fille dans cette situation ?

Pour R. J. STOLLER, ce rapprochement peut constituer un atout : « Le développement de liens indissolubles avec la femellité et la féminité de la mère ne peut, dans la symbiose normale mère-nourrisson, qu’augmenter, chez la fille, le sentiment d’identité. Si la mère peut assurer cette fondation chez sa fille, alors une force - une permanence, une partie de l’identité - sera solidement établie et sera utile à l’enfant face aux vicissitudes ultérieures du genre, dans la situation œdipienne, par exemple. » [1973, p152] On trouvera ici l’idée que c’est le petit garçon qui est susceptible de rencontrer des difficultés dans l’établissement de sa masculinité, précisément parce qu’il est amené à côtoyer cet objet d’un autre-genre à une époque où son moi présente une grande immaturité.

Mais citons aussi C. TERNYNCK, qui à l’inverse de la citation précédente rappelle qu’au contraire du garçon connaissant d’emblée une entière différenciation sexuelle, « la fille est investie comme semblable et court le risque d’être méconnue dans son altérité. Embrasement, enlacement, emboîtement (…) seraient évocateurs de cette toute première relation marquée, côté mère, par l’investissement érogène du corps entier et l’imprécision des limites. » [op. cit., p8] Observons ici que la menace, plus que de la labilité du moi de l’enfant, viendrait de la mère et de son narcissisme potentiellement envahissant…

Cette identité de genre entre mère et fille constitue une homosexualité dite « primaire ». A. LE GUEN revient sur le terme d’ « homosexualité » qui lui « paraît quelque peu impropre : mieux vaudrait parler de « monosexualité primaire », et sans doute serait-il même plus juste de désigner simplement cette relation comme étant un « amour narcissique féminin » entre mère et fille. » [2001, p27] E. KESTEMBERG définit, elle, l’homosexualité primaire par les « échanges amoureux premiers entre un sujet et sa mère au travers de toute une série de contacts corporels intéressant le corps tout entier, notamment la peau, le regard, la voix. » [1984, p20]

Ce lien, largement marqué par sa composante narcissique (narcissisme de l’établissement de la psyché pour le bébé, reconnaissance narcissique pour la mère), contient en lui danger et opportunité qui caractérisent les difficultés de cette prime séparation à venir. C’est ce qui amène P. GUTTON à écrire que « Le drame de la féminité se joue d’abord entre mère et fille en deçà de la névrose infantile, dans l’ante-œdipien » [1983, p203], amenant à la question de savoir si la fille, et ceci plus que le garçon, peut réellement se séparer un jour de sa mère.

Une fois la mère constituée comme objet total et sexué s’engage alors une autre relation, construite sur une « homosexualité secondaire », comme on parle de « narcissisme secondaire », et qui se déploie dans le registre des pulsions pré-œdipiennes, puis de l’œdipien, suivant les organisations libidinales qui y ont cours.

Cette relation seconde se déploie dans un contexte marqué peu à peu par la différenciation sexuelle. Elle correspond à ce que FREUD a pu évoquer sous le terme d’ « œdipe inversé » et constitue le fond du travail des identifications secondaires. Ici, c’est l’alternative proposée par le couple masculin/féminin qui en incarne le mieux l’enjeu identificatoire (à l’inverse d’une relation primaire marquée de l’opposition phallique/châtré).