n - LE MATERNEL FEMININ PRIMITIF, DANGER ORIGINAIRE

Avançons d’emblée l’idée que nous allons soutenir ici : la réceptivité féminine, dont nous avons écrit qu’elle se présentait pour les hommes de la famille comme un espace à contrôler, apparaît dans sa potentialité d’engloutissement, favorisant la représentation d’un retour au ventre maternel. J. COURNUT rappelle le statut de « fantasme originaire » de ce « retour in utero », associé en cela aux trois fantasmes de séduction, de scène primitive et de castration : « Il s’agit de scénarios imaginaires inconscients donnant du sens aux réalités humaines. Ces fantasmes sont dits originaires dans la mesure où ils répondent aux pourquoi des enfants, à leurs questions sur les origines, les désirs des parents et les réseaux imaginaires, identitaires et symboliques. Pour ces mêmes motifs, ils sont organisateurs de la vie psychique. » [1998, p410] Toutefois ces quatre fantasmes ne sont-ils pas isolables ou interchangeables. Ils se présentent chez tout sujet dans une articulation dynamique dans laquelle « chacun induit la nécessité du suivant » [Ibid.], comme une succession défensive dont l’origine est constituée par le fantasme de retour dans le ventre maternel 23 .

Et c’est jusqu’à la question sociale qui pourrait être évoquée ici, sous la forme de l’œdipe en tant qu’organisation collective faisant barrage à un envahissement par le maternel féminin primitif. Toutes les représentations culturelles, politiques, religieuses, incluant la dimension du tiers et sa fonction séparatrice ont une place dans cet ensemble préventif. C’est pourquoi il ne paraît pas pertinent de mettre la réceptivité féminine en symétrie d’une réceptivité masculine, répondant en cela à notre questionnement sur les représentations de la réceptivité féminine ou masculine.

Ainsi les relations homosexuelles elles-mêmes peuvent être vues comme des défenses contre cette potentialité fusionnelle, comme le relève J. McDOUGALL dans la présentation du cas d’une patiente qui se retrouve ainsi « … dans une relation quasi fusionnelle calquée sur la première relation mère-enfant, mais à cette différence près que les virtualités phalliques du pénis paternel ne sont plus détenues par la mère. Elles sont devenues le patrimoine de la fille (…). En même temps, protégée en quelque sorte par cette identification au phallus paternel qu’elle interpose entre elle-même et sa mère, elle n’a plus à redouter l’accomplissement de la relation fusionnelle. » [1964, p309]

J. COURNUT avance pour sa part que « l’homosexualité féminine est impensable pour les hommes ; (…) l’inceste mère-fille est un mot qui n’a aucun sens. Pas de différence, pas de copule pour pénétrer, pas de coupure pour penser, du même sur du même : c’est probablement là l’irreprésentable radical… » [1998, p412] Mais si cette perte de l’identité suggère une mort psychique pour le sujet, elle renvoie aussi dans l’ambivalence au bien-être narcissique de la prime enfance, forme de « retour pour mourir au pays qui nous ressemble » [op. cit., p414], ce qui n’est pas sans conflit pour chaque sujet dans son rapport au féminin en ce qu’il suggère de caractéristique de la maternité.

Observons que cette économie intrapsychique se produit dans ce que P. JEAMMET (1990) situe dans le champ du social comme « … un affaiblissement des limites et des interdits et notamment des barrières intergénérationnelles qui étaient autant de limites sur lesquelles pouvaient s’appuyer les assises narcissiques de l’adolescent. » [1990, p23] Il y a là ce que nous pouvons qualifier de rencontre entre un processus psychique tendant à évacuer l’angoisse du maternel féminin primitif et une « évolution sociale actuelle » qui remet en cause « la soumission à un certain nombre de règles ou de limites… » [id] Cette rencontre favoriserait dans les situations que nous présenterons l’utilisation de la violence intergénérationnelle pour évacuer l’angoisse que le maternel féminin primitif fait peser sur chacun. Un maternel sans limites qu’il serait possible d’attaquer sans limites…

Précisons toutefois que si les pères de familles sont les premiers à mettre en jeu dans leurs attitudes cette dimension d’attaque du maternel féminin primitif, certaines de leurs attitudes paraissent mettre en jeu le féminin en eux, sur le modèle du « parent total », ce dont ils semblent se défendre en agressant leur fille au lieu de sa féminité. En ce sens, la sexualisation des imagos parentales a ses limites.

Notes
23.

Le fantasme originaire de séduction par l’adulte introduit en effet une relation première, une différenciation par rapport au fantasme de retour in utero, le fantasme de scène primitive fait entrer un troisième personnage dans ce que la séduction apporte comme danger identitaire en tant que scène à deux, enfin le fantasme de castration organise et limite les excitations chaotiques engendrées par les représentations de scène primitive.