p - LES RISQUES DE LA SEDUCTION

Toutefois cette conduite des filles se fait-elle, d’après M. COURNUT-JANIN, dans une certaine limitation de la part de leurs mères, parce que marquée d’une tendance implicite de ces dernières à « inciter leur fille à séduire leur père », comme une manière de « … compromis dans l’identification, « Séduis ton père comme j’aimais séduire le mien, mais que ton sexe, en tant que tel, reste hors circuit ». » [1998, p71]

Rappelons que la première séduction est celle dont l’enfant a eu le fantasme d’être l’objet de la part de l’adulte au cours de sa petite enfance. C’est d’ailleurs cette « théorie du fantasme » que FREUD a développée à partir de 1896 à partir de son écoute des hystériques, et qui l’amènera à concevoir la notion de complexe d’Œdipe dans les années qui suivent.

Ainsi sans attendre l’adolescence, l’accès à la féminité occasionne un retournement dans lequel la fillette qui voit (séduite) devient dans son fantasme objet d’un voir (séductrice), contemporain du changement d’objet dans la problématique de la fille. Ce processus introduit la pulsion exhibitionniste après que le premier temps ait induit une pulsion de voir chez la fillette, ce que G. BONNET souligne en disant de celle-ci qu’elle « passe d’une position masochiste spécifique à une position voyeuriste puis exhibitionniste qui lui permet de s’affirmer et de briller de tous les feux de sa féminité. » [1999, pp87-88] Ici, l’envie de séduire de la fillette n’est pas seulement à référer à sa problématique œdipienne, mais tout autant à l’objectif d’entraîner l’admiration du père, avec pour conséquence un renforcement du moi.

Toutefois cette approche filiale, fût-elle accompagnée, n’est pas sans risques psychiques dans la mesure où la promesse de féminité qu’elle contient met en jeu inconsciemment des fantasmes de différentes natures. On ne sera pas surpris de retrouver ici l’inquiétude de détruire le pénis paternel au cours de cette conquête, inquiétude partagée par la mère et qui amène celle-ci à orienter la séduction de sa fille comme nous l’évoquions plus haut. Cette « orientation » désigne dès lors un regard du père portant sur le corps de la fille tout entier, paré, fardé, embelli, et non pas son vagin. M. COURNUT-JANIN écrit que « ce message maternel non dit passe (…) par l’investissement du corps tout entier de la petite fille : ainsi est décalé, déplacé, voilé, annulé, refoulé l’investissement précis de son sexe. » [1998, p69]

Car ce tableau d’ « une fille tout entière » est destiné à l’évitement du réveil chez le père de l’angoisse de castration liée au sexe féminin. M. COURNUT-JANIN écrit à ce sujet que l’arrivée de la puberté entraîne « un réveil de l’angoisse de castration chez le père de l’adolescente (…) ; réveil d’autant plus bouleversant pour l’équilibre pulsionnel de celui-ci que la fille, devenue femme, manque à jouer le rôle d’objet phallique narcissique qui, tout un temps, servait dans l’économie familiale à endiguer les effets de la peur de la féminité. » [1988, p308]

A l’adolescence, cette angoisse de castration peut passer par l’alternative « vierge ou trouée » dans les représentations du père, ce que la question de l’honneur paternel sur la virginité de la fille au moment du mariage recouvre encore très couramment dans nos sociétés. D’ailleurs le « corps phallique plastique » dont parle F. DOLTO (supra page 33) lorsqu’elle évoque l’investissement du corps pubère par l’adolescente nous semble bien renvoyer à cette problématique de leurre et de refoulement généralisé du vagin.

C’est pourquoi s’il est question de pulsion du père - et ceci notamment à partir de la puberté -, elle ne peut être que du côté du scopique. Bien sûr cela ne supprime aucunement les risques de blessure narcissique ou d’emprise potentiellement lus par la fille dans le regard paternel, qui peut la jauger ou la contrôler dans ses agirs : « Les pères de filles adolescentes invoquent le regard : certes celui par lequel ils découvrent que leur fille est devenue une femme, mais surtout celui qu’ils ont surpris chez d’autres hommes regardant leur fille. » [M. COURNUT-JANIN, 1988, p308] Ne pourrait-on pas dire que la vision du père, ou de quiconque regarde comme un père, est d’autant plus aveuglante qu’il voit alors ce qu’il ne voudrait pas voir de la féminité, du sexe de la fille, de ce sexe d’où « pourrait surgir à nouveau le signe du manque. » [1998, p82]