c - MAITRISER UN DEBORDEMENT ?

Au nombre des tentatives de dépassement de ces situations de crise ou de traumatisme, apparaissent toutes les formes de la décharge motrice, susceptibles d’évacuer le matériel pulsionnel non élaboré, ce que formule clairement A. HAIM lorsqu’il écrit que l’adolescent « agit pour ne pas savoir. » [1969, p195] C. TERNINCK, dans le même sens, qualifie l’agir sexuel impulsif comme un « écrasement du fantasme d’effraction », ayant pour fonction de « colmater la douleur psychique issue du trauma, à la rendre supportable et à contrôler le danger qu’elle représente. » [2000, p39]

C’est à cette visée cathartique que peut se ramener la manière originale avec laquelle J. GUILLAUMIN évoque un appel au traumatisme à l’adolescence, un « besoin traumatotropique naturel », après qu’il ait défini le traumatisme comme un « effet de choc », une « action de rupture » [1985, p135]. Cette tendance recouvre la fonction de rechercher une issue à des situations de fermeture relationnelle ou d’absence de perspective, et pour lesquelles les essais de métabolisation ou toute mesure défensive sont apparus sans effet libérateur à l’adolescent. Ce mouvement traumatophile présente l’objectif inconscient de « chercher du côté d’une invocation à une médiation violente du réel, représentant le « père »… » [op. cit., p133] Solution davantage que problème, le traumatisme est alors une manière de « passer en force », de changer massivement et dans l’urgence de régime relationnel en se confrontant aux objets de la réalité externe.

Toutefois cette acception ne nous semble avoir une validité que dans le cas universel, lorsqu’un vécu traumatique ne menace pas préalablement les objets du dedans, la dimension de « tropisme » proposée par J. GUILLAUMIN dans ce concept impliquant elle-même une tendance plus qu’une réalisation traumatique. Cette notion pourrait se rapporter à la manière dont l’adolescent en crise maturative cherche à se réaliser en passant par l’acte 24 , ou en s’exposant aux objets environnants, étant entendu que la souffrance ainsi supportée l’est au titre de la pulsion de vie, l’évocation du « père » faite par J. GUILLAUMIN amenant à considérer ici la valeur de liaison de telles attitudes.

Appliquée à une puberté « après-coup d’un traumatisme », laquelle engagerait alors des contenus pulsionnels inélaborés, cette appétence au choc pourrait se ramener à la dynamique d’un processus de retournement, dans lequel l’adolescent se mettrait en situation de rencontrer à l’extérieur ce vécu ingérable sur le plan de la réalité psychique. « Face à l’expérience vécue dans l’expérience traumatique, face à la défaite du moi dans le traumatisme, la psyché préfère ainsi se présenter comme l’agent, comme l’acteur, de ce à quoi elle ne peut se soustraire. » [R. ROUSSILLON, 1999b, p28] Ce mouvement d’appropriation défensive, dont R. ROUSSILLON rappelle qu’il se situe entre clivage et refoulement, produit sa part de confusion : se faisant organisateur de sa souffrance, le sujet entre dans un « processus qui bafoue l’organisation symbolique, en traitant l’expérience traumatique comme si elle était intégrée symboliquement dans la subjectivité, en tentant de faire ainsi l’économie du travail psychique nécessaire à son intégration effective. » [op. cit., pp28-29]

Mais à l’adolescence, un tel processus de retournement ne contiendrait-il pas l’objectif d’une construction identitaire et de la préservation du lien à l’objet, quand bien même celles-ci comporterait leur part d’angoisse d’intrusion et d’affrontement ? Car dans un contexte de violence familiale, toute reprise auto-vulnérante (laquelle peut s’observer dans la participation active à des agressions de fratrie ou des absorptions médicamenteuses) ne constitue une pseudo-subjectivation que dans un système qui proclame que ce retournement sur soi est un fait singulier qui n’appartient qu’au sujet, alors même que cette économie intersubjective qui délègue à chacun le soin de traiter ainsi les excitations collectives n’est pas sans rappeler la notion de « contrat narcissique », avancée par P. AULAGNIER en 1975. Dans celui-ci, « Le discours du sacré, et ses successeurs, en devenant appropriation licite du sujet, investit ce dernier comme sujet du groupe : l’énoncé des fondements revient au sujet comme énoncé fondant sa position dans l’ensemble. » [p187] Notre clinique illustrera que l’impératif narcissique est patent dans ces attitudes, à la fois recouvert par la tentative de se saisir de son propre destin, fût-ce par l’effraction et la souffrance, puis par la reconnaissance identitaire dont le milieu environnant paraît témoigner en répétant les scènes d’affrontement. 25

Puis au-delà, ou plus précisément à travers les modalités d’agirs que nous venons d’évoquer, le rapport à cette souffrance physique sera maintenant l’occasion de problématiser l’idée que le masochisme n’est peut-être pas pour rien dans les accueils du traumatisme au moment de l’adolescence.

Notes
24.

cf. ROUSSILLON (R), 1999b, "Les enjeux de la symbolisation".

25.

Nous avons bien conscience ici de la torsion que nous faisons subir à la conceptualisation de P. AULAGNIER, qui inscrit cette notion de « contrat narcissique » dans le cadre de l’échange symbolique et de l’organisation sociale collective. Un approfondissement de nos situations dans cette direction socioculturelle nous amènerait peut-être à travailler aussi la situation singulière des adolescentes que nous rencontrons à l’aide du concept de « bouc émissaire de leurs organisations familiales ».