d - UN AMENAGEMENT MASOCHIQUE

R. ROUSSILLON rappelle qu’une blessure physique permet de se protéger du traumatisme psychique, évoquant pour cela les considérations de FREUD sur les névroses traumatiques de guerre et « … l’hypothèse que les quantités d’excitations effractives affluent en direction de la blessure, si elle est suffisamment circonscrite, et protègent ainsi la psyché elle-même du débordement. » [op. cit., p31] Ce qui est en jeu ici serait l’établissement d’un lieu du corps ayant pour fonction de limiter le débordement par la trace que quelque chose souffre déjà, pouvant alors recueillir et lier l’investissement pulsionnel.

A un niveau dynamique moindre, nous pouvons faire appel à l’image de l’adolescent qui va jusqu’au bout de son souffle dans son activité sportive, la douleur de l’épuisement comme symbole concret de sa souffrance psychique. Faire souffrir le corps, c’est ainsi se donner l’impression de contrôler cette dernière, comme si après l’effort, c’est l’ensemble de l’adolescent qui allait mieux.

Mais ne trouvons-nous pas ici la question de la limite, dans cette butée que constitue la douleur, limite à l’envahissement d’un vécu de crise psychique pour l’adolescent, mais limite aussi à ce qui se présente comme désir de risquer son corps et sa vie pour paradoxalement se définir dans cet affrontement avec l’objet ?

Evoquant les attitudes de boulimie, d’hyper-séduction ou de néo-sexualités adolescentes, C. TERNINCK fait une analyse comparable : « Par l’érotisation et parfois l’exhibition douloureuse d’une féminité incessamment violentée, le masochisme érogène cherche à lier l’excitation et la destructivité interne. » [2000, p164] Ici, la féminité naissante peut chercher ses représentations de vie dans une attaque du corps, démentant à la fois l’abandon par l’objet et le risque d’effondrement qui en résulterait.

Il faut souligner au préalable que l’objectif de ce masochisme - mais n’est-ce pas le cas de toutes les formes masochiques ? - est bien un objectif de vie et de sauvegarde subjective. A nouveau, les questions posées lors de notre évocation du maternel féminin primitif peuvent être posées ici. Disons que la problématique masochique répond à l’adolescence à la nécessité d’éviter le retour de ce maternel archaïque, vécu comme potentiellement mortifère par ses caractéristiques de fusion et d’oralité. C’est ainsi que nous entendrons le propos de R. ROUSSILLON au sujet de cette polarité masochique, vue « … du côté de l’indifférence de l’objet. L’indifférence de celui-ci, totalement tournée vers ses représentations d’objets internes ou ses incorporats, équivaut à un meurtre muet du sujet, et oblige alors celui-ci à tenter de démentir l’actualisation permanente de l’annihilation primaire en activant un pôle « sadique » d’investissements dans l’objet ou un autre objet. » [1999c, p162]

Préparant notre utilisation ultérieure, nous citerons aussi C. TERNINCK au sujet de la méfiance adolescente à l’égard de l’objet : « Dans ce contexte, « le paradoxe du mauvais objet », décrit dans l’espace de punition, s’intensifie, s’emballe : il s’agit d’exciter l’objet externe, de l’aiguillonner, afin de se laisser emporter avec lui dans une spirale inflationniste qui tente de freiner la déliaison et de soutenir le sentiment d’existence menacé par l’angoisse psychotique ou dépressive. » [2000, p164] L’objet est tout à la fois source d’angoisse, pôle de réassurance et partenaire du mouvement masochique.

Enfin, avant toute différenciation au sujet « des » masochismes, notre lien entre adolescence et masochisme nous semble en accord avec les travaux de B. ROSENBERG, et notamment lorsqu’il écrit que « Le masochisme moral est un moyen économique et limité répondant ou bien à un accroc momentané dans le fonctionnement névrotique, ou bien à une faille - mais limitée - de l’organisation névrotique même du sujet. » [1991, p40] L’adolescence en tant que processus (ne l’avons-nous pas déjà montré supra ?) constitue un ensemble d’occasions d’ « accrocs » suffisamment important ; le masochisme peut apparaître comme une voie d’autant plus privilégiée lorsque des mauvais traitements doivent être intégrés par des sujets de cet âge.