II - 1 - 2 - Premier entretien

a - "AVANT ON ETAIT INSEPARABLES"

Après la présentation du cadre de mon intervention, tel que nous l’avons décrit dans la description du dispositif - préalable que Naïma écoute avec beaucoup d’attention en hochant la tête -, je laisse un moment de silence. L’air surpris par la situation, elle fait mine d’attendre une intervention de ma part… et l’idée me vient au moment où j’acquiesce à cette demande muette que Naïma se met d’emblée en position d’organiser notre relation.

Q - On pourrait commencer par parler de ce qui fait que vous êtes hébergée ici ?

- C’est mon frère. J’en ai marre. Ça arrête pas avec lui. Dès qu’il y a un problème, il faut qu’il tape. Il n’y a que comme ça qu’il est bien, on dirait.

Q - Vous pensez vraiment ça ? Que ça lui fait du bien de faire mal à quelqu’un ?

- Des fois on dirait. Il est pas net je vous jure. C’est dans sa tête. Il me tapait pour rien, si j’étais en retard par exemple, mais des fois je savais même pas pourquoi. C’est depuis que j’ai quatorze ans qu’il est comme ça. Ce qui a dû l’énerver c’est de changer de classe. Avant on était toujours ensemble, inséparables... Depuis, on est toujours en train de s’engueuler. Et puis maintenant c’est Kamel qui s’y met. Oh mais ça va pas non ? Pourquoi pas leurs copains pendant qu’ils y sont ?

Ce qui me vient à l’esprit après ces derniers mots est que Naïma évoque son refus d’une scène sexuelle, soit : « des frères jouissent de leur sœur et la donnent ensuite à leurs copains ». Sans doute la dimension du sadisme est pour quelque chose dans mon association, dans la mesure où ce frère est d’emblée présenté comme se faisant plaisir avec sa sœur, peut-être aussi l’image des inséparables (quelque chose qui fait couple), puis en tout cas la présentation assez provocatrice de Naïma, habillée d’un pantalon moulant, d’un tee-shirt à manches courtes assez échancré et suffisamment court pour laisser apercevoir son ventre. Quelque chose du côté du désir d’excitation de l’autre m’apparaît évident, et je pense à la manière dont ses frères, eux-mêmes adolescents, reçoivent cette apparence… Est-ce cet élément qui m’amène, après un long silence au cours duquel elle commence à pleurer, à formuler cette question :

Q - Et dans les moments où ils vous tapent dessus, qu’est-ce que vous faites, vous ?

- Des fois je répondais, il n’y avait rien d’autre à faire, mais c’était encore pire. Son truc, c’était de presque m’étrangler. Mais pour de bon hein ? Je me débattais, mais lui ça le faisait rire. Je pense que les traces de coups, il avait compris que ça pouvait se retourner contre lui. Une fois il m’avait tordu le bras, ça m’avait fait tomber sur le coin de la table et ça m’avait ouvert le front. J’étais allée à l’hôpital, ils m’ont mis des agrafes et ils m’ont demandé comment j’avais fait ça, j’ai dit que j’étais tombée, toute seule quoi ! Après, mon frère, je vous jure qu’il a arrêté un moment. Il a bien compris que j’aurais pu lui faire des ennuis !

Q - Et de ce que ça vous faisait, est-ce que vous avez essayé d’en parler avec lui ?

- Ah mais des fois on se parlait, c’était bien. Il était sympa des jours, ça dépendait. Mais il tournait ça à la rigolade, comme si c’était pas grave. Il me disait "t’as qu’à la fermer", et puis "il faut bien que je me défoule sur quelqu’un !" Non mais, n’importe quoi ! Oh et puis j’en ai marre de parler de ça. A quoi ça sert d’abord ?