b - UN RAPPEL DU CADRE

Là dessus Naïma se lève, fait ostensiblement quelques mouvements de décontraction, et enchaîne…

… Oh mais c’est que j’en ai marre moi, de parler, là…

Je reste assez surpris par cette réaction que rien de laissait prévoir dans son propos. Mon idée est à ce moment-là que quelque chose de la situation familiale envahit l’espace de l’entretien, bien que je ne puisse alors formuler pour moi-même une interprétation précise au sujet de cet excès de motricité. Mais à qui s’adresse cette scène quasi-théâtrale ? S’agit-il, sur un mode contre-agressif, de refuser brutalement quelque chose au frère ? Cette sortie du cadre est-elle là pour éprouver sa solidité (évaluer ma violence potentielle ? la mettre en mouvement ?), jouer avec les limites de ce cadre (manifestant que Naïma joue avec son surmoi) ou encore parce que le dispositif de parole constituerait une menace pour Naïma (qui se défendrait alors par cet évitement) ?

Au-delà de ces premiers éléments, j’ai aussi le sentiment que quelque chose de paternel est convoqué par de telles attitudes. Peut-être dans le mouvement séducteur que je prête à cette adolescente, ou parce qu’une description de telles scènes de violences familiales me semble toujours adressée à celui qui est symboliquement chargé de la protection de chacun…, en tout cas je me demande à ce moment de l’entretien quel père Naïma fera le choix d’évoquer.

Q - Pour se parler ça serait mieux si vous restiez assise…

- Oui d’accord, je m’excuse. Faut que je me calme. Mais on peut pas parler d’autre chose ? C’est que c’est du passé ça. De toute façon, je m’en fous maintenant, je suis ici, c’est terminé tout ça !

Q - On peut effectivement parler d’autre chose si vous le souhaitez. Mais pas parce que c’est du passé, plutôt parce que c’est compliqué pour vous en ce moment, et puis je pense pas que vous vous en foutez comme vous dites. C’est sûrement très important pour vous… Mais on pourrait parler de ce que vous aimeriez qu’il se passe maintenant, l’endroit où vous irez, tout ça…

- Tout ce que je veux c’est qu’ils me foutent la paix, tous. J’en ai marre, moi. Tout ce boucan tout le temps, y en a marre, j’arrivais pas à travailler, à réfléchir. Même la nuit j’étais pas tranquille. Mon frère rentrait, il voulait parler, il y en avait pour des heures. J’osais pas lui dire, mais j’ai envie de dormir, moi.