c – L’ABSENCE DES OBJETS PARENTAUX

J’observe que Naïma ne répond pas à mon accord de pouvoir "parler d’autre chose". Elle choisit de reprendre sa situation familiale, ce qui relativise beaucoup le désagrément qu’elle venait de m’opposer à ce sujet, et constitue cette « contrariété » comme une forme de nécessité personnelle, voire une exigence d’élaboration. D’autre part cette jeune fille associe spontanément la pression du frère et une obligation de parler (quelque chose qui fait du bruit et qui empêche de se reposer), comme si elle exprimait un lien direct entre la situation familiale et l’espace de l’entretien : je deviens alors imaginairement celui « qui veut parler, et il y en a pour des heures »… rejoignant peut-être en cela pour elle la position de son frère.

Q - Il me semble que ce que vous faisiez tout à l’heure, de vous lever, tout ça, c’est parce que vous n’avez pas tellement l’habitude de parler de ce qui se passe chez vous. C’est comme si ça vous faisait réagir tout de suite…

- Non c’est pas ça… C’est que ça m’ennuie de voir comme il est, tout ça.

Q - Qui ?

- Eh bien mon frère ! Sofiane ! Mais vous écoutez pas quand je vous parle !!

Q - Si, je vous écoute. Mais il n’y a pas que votre frère dans votre vie…

- Non, non, c’est lui qui est comme ça. De toute façon mon autre frère, il aurait pas fait ça si il y avait pas eu le grand ! Avec Kamel, quand même, on s’engueulait pas tout le temps, mais je crois qu’il m’énervait trop, il voulait faire comme le grand. Mais même avec Sofiane, des fois ça allait bien, on se tapait juste comme ça. Quand il était revenu de prison, au début c’était mieux. Au début il avait rien, je lui donnais un peu d’argent pour l’aider. J’aurais bien aimé que ça redevienne comme avant.

Cette séquence, qui montre l’ambivalence de ses relations avec ses frères et notamment que ces relations sont faites de bien autre chose que de la seule violence, est l’occasion pour moi d’observer que Naïma choisit décidément de ne pas parler de ses parents.

Or il me semblait qu’à la suite de son allusion à l’ensemble de sa famille ("… qu’ils me foutent la paix, tous"), Naïma allait cesser d’orienter ses revendications uniquement vers ses frères. L’amener à enchaîner sur son orientation me semblait alors une solution pour l’aider à se dégager de ce point de vue, évoquer plus directement la place de ses parents dans cette situation, et ainsi situer une économie familiale plus réaliste. Or son propos - un retour immédiat à un vécu de persécution par ses frères - me paraît déjà témoigner de sa difficulté à situer les objets parentaux dans leur fonction symboligène.

A l’inverse nous devons aussi nous rappeler qu’une fonction médiatrice est peut-être convoquée par ses comportements dans l’entretien (ayant valeur d’appels au cadre), même si nous avons vu qu’une certaine séduction pouvait tendre à mettre une telle médiation en difficulté.