d - UN LIEN AVEC SES AUTO-AGRESSIONS

Après un moment de silence de plusieurs minutes (Naïma est un peu repliée sur elle-même), elle reprend la parole ainsi :

- Ça me fait penser à quand j’étais à l’hôpital, il y a un an. Déjà je parlais de tout ça, et ça a servi à quoi ? Ah oui, je vous l’ai pas dit, je me suis suicidée trois fois, et bien ils s’en foutaient tous, alors cette fois-ci je suis partie.

Q - Tous ?

- Ben ouais, chez moi. Mes parents, tout ça. Ils faisaient la morale à tout le monde, que c’était pas bien de se battre. comme si c’était si simple ! J’aurais bien aimé pas me battre moi !

Q - Comment vous les comprenez, vos tentatives de suicide ?

- Je venais de me faire taper par mon frère, j’en avais marre. Les médicaments, je les ai pris dans la pharmacie à la maison. J’étais énervée, je les ai pris comme j’aurais tout cassé.

Q - C’était des médicaments à vous…

- Non… Ils étaient là, à tout le monde… Des trucs contre la douleur ils m’ont dit à l’hôpital, j’aurais pu avoir des problèmes, mais y a rien eu. De toute façon, j’ai pas pensé à tout ça.

Q - Il fallait que vous fassiez quelque chose…

- Y avait pas d’autre solution. C’était ça ou ça continuait. J’avais l’impression d’être coincée. Si je répondais, je ramassais encore plus, si je disais rien, il continuait… Mais j’ai jamais voulu mourir. C’est que je voulais que ça s’arrête. La suite, tout ça, moi j’y pensais pas ! Je pensais juste que j’en avais marre……… Ça vous ennuie pas si je me lève et que je marche un peu, depuis le temps que je suis assise...

Q - Je vous ai dit, tout à l’heure…

[Elle soupire, et reste assise].

Ces propos entraînent une constatation : si l’absorption des médicaments est bien contiguë à la violence familiale, Naïma évoque ses gestes suicidaires comme une alternative très proche de l’attaque des objets externes. L’auto-agression apparaît ici comme un élément d’un ensemble d’offensives de la part de Naïma, parfois orientées vers autrui, parfois retournées sur elle-même. On notera alors que les représentations conscientes de cette jeune fille ne font pas une si large place à la différence entre agresser les autres et s’auto-agresser. Et si nous rappelons que les médicaments sont, selon Naïma, "à tout le monde", ce geste apparaît comme témoignant à la fois d’une indifférenciation familiale, et d’une lutte contre cette indifférenciation.