II - 1 - 3 - Deuxième entretien

a - L’IDEALISATION DU PERE

Pour ce second entretien, Naïma paraît plus calme. Elle se présente habillée de façon plus réservée, et il me vient à l’esprit en la saluant qu’elle avait peut-être manifesté la fois précédente un désir de séduction en offrant à ma vue certaines parties de son corps, plutôt maltraité dans ses expériences antérieures.

Q - Il y a quelque chose par quoi vous voulez commencer aujourd’hui ?

- J’ai eu mon père au téléphone hier soir. Il m’a demandé si j’allais revenir. J’ai pas répondu. J’ai juste dit que ça allait mieux depuis que j’étais ici.

[Un temps d’arrêt.]

Puis Naïma me regarde fixement et je me dis alors que je n’éviterai pas, après cette évocation de son père, une nouvelle interrogation sur ma descendance…

- C’est vrai ça, je suis plus tranquille, moins de bruit, plus ces cris, tout ça. En fait ce qui est bizarre, c’est qu’il n’y a rien qui me manque, Un peu mon père, mais de toute manière c’était plus possible de continuer comme ça. Jusqu’à il y a quinze jours, il ne m’avait jamais déçue ! Non c’est vrai, le problème, c’est qu’il a pas été d’accord pour que je sois placée, il aurait voulu que je reste à la maison.

Q - Et sa solution, c’était…?

- Il trouvait que c’était pas bien grave, que c’était des trucs de gamins, les coups tout ça. C’est vrai qu’il est pas beaucoup à la maison, il peut pas voir ce qui se passe, c’est normal qu’il comprenne pas…

Q - C’est un peu surprenant ce que vous me dites. C’est comme si il n’y avait pas de lien entre ce qui se passe à la maison et vos parents.

Elle paraît surprise par ma remarque, peut-être sur l’idée de ce lien, sans doute parce que je dis "parents" là où elle avait dit "père". Elle réfléchit longuement.

- Mon père il est super, il m’a toujours écoutée, c’est le seul, et il m’a toujours aidée quand je lui demandais quelque chose. En fait il ne m’a jamais rien refusé.

Q - Il trouvait que c’était des trucs de gamins… Mais l’hôpital après les coups de votre frère et votre chute sur la table ?

- Ah mais ça, on lui a pas dit ! J’ai dit la même chose qu’à l’hôpital. Même ma mère elle avait pas vu le truc, alors…

Q - Mais j’ai l’impression maintenant que vous auriez pu supporter encore plus de choses de la part de votre frère pour éviter de gêner votre père…

- C’est pas une histoire de le gêner. C’est que je vois pas pourquoi je lui en voudrais. Moi c’est à mon frère que j’en veux ! Vous êtes comme à l’hôpital quand ils me parlaient tout le temps de mes parents, vous…

Q - C’est comme si vous ne vouliez pas que votre père s’occupe de vous comme de sa fille…

- C’est pas ça, c’est qu’il y est pour rien. Quand il est là, c’est pas aussi grave. Des fois quand même, c’est lui qui arrête mon frère ou les cris !

Q - Ah bon ? Alors votre père doit bien se sentir responsable de ce qui se passe pour vous à la maison… ?

- J’en sais rien, mais qu’est-ce que vous voulez qu’il y fasse ? C’est pas de sa faute ! Taper, ça, il est pas d’accord.

Q - Je comprends bien, mais à certains moments, vous, vous avez pu attendre qu’il en fasse plus pour vous…