b - UNE DIFFICULTE DE LIER L’IMAGE PATERNELLE A LA VIOLENCE

Naïma reste alors pensive pendant quatre à cinq minutes, ce que je choisis de ne pas interrompre, ressentant que quelque chose d’important se passe pour elle dans ce moment d’élaboration. J’interpréterais ses comportements comme une hésitation à penser. Pendant ces quelques minutes, Naïma paraît en effet soit réfléchir de manière intense, soit refuser de penser plus avant, comme si elle était habitée par des idées gênantes. Son visage exprime un peu cette oscillation intérieure, soit qu’elle me regarde fixement, soit qu’elle paraisse penser à autre chose avec un regard vide. En même temps, quelque chose d’une mise en scène de sa réflexion ne peut évidemment pas être écarté de ce descriptif.

D’ailleurs mon propre silence avait aussi pour fonction d’apaiser une excitation que je sentais alors monter en elle au cours de notre échange, les propos de Naïma rapportés précédemment ayant été de plus en plus « jetés » en ma direction, puis de calmer une forme d’excitation qui montait aussi en moi et s’exprimait par ma façon de vouloir la convaincre de la responsabilité de son père. Il est vrai que mon souhait d’éclairer le lien entre le fait d’être battue par les frères et l’impossibilité du père, ou son refus, à contrôler cela pouvait s’apparenter à une volonté de ma part de juger la complicité de ce monsieur, ce qui aurait été assez maladroit au vu de l’apparente idéalisation de cette jeune fille pour lui.

La montée de son irritation était toutefois surprenante dans la mesure où il s’agissait précisément pour elle de transmettre qu’une moindre agitation personnelle avait marqué le début de son placement, ce qu’elle reliait elle-même à une prise de distance vis-à-vis de son père. C’est que Naïma paraît ne pouvoir guère faire plus en ce début d’entretien que de penser que ce père merveilleux ne peut décidément pas plus qu’elle sur ces problèmes de violence, et que l’éloignement devient inévitable pour cette seule raison.

Une question se pose alors sur la nécessité d’un tel clivage entre l’acuité de ses problèmes avec sa fratrie et son refus de responsabiliser le père à ce sujet. En d’autres termes que vient soutenir, ou protéger, cette idéalisation du père dans un cadre familial si tourmenté ? Et dans ce contexte de violence familiale, pouvons-nous avancer sur le lien éventuel entre cette idéalisation, le fait d’être battue et ses propres actes auto-hétéro-agressifs ?

Q - Alors partir, ça a pas dû être facile…

- Vous savez, si j’ai attendu aussi longtemps pour partir, je crois que c’est pour pas lui faire de peine. Non, c’est vrai, il m’avait jamais déçue…

Observons ici que Naïma dépasse dans cet entretien sa vindicte de sœur pour se centrer sur cette image paternelle à peine désidéalisée. Et encore cette récente déception ne concerne-t-elle en fait que le refus paternel du placement souhaité par sa fille, comme si celle-ci avait pensé rompre avec toute sa famille, sauf avec son père.