d - UN DEBUT DE DESIDEALISATION

Du reste il ne semble pas que Naïma ait entendu sur le moment le lien que je lui proposais sur les départs comparables de sa mère et d’elle-même. Je ne crois d’ailleurs pas avoir pensé à ce moment-là qu’une adhésion subite soit possible sur ce sujet, mais s’est imposée à moi l’idée qu’un autre salut aurait été possible dans un départ unanime… Au contraire n’est-ce pas l’exclusion qui dirige la pensée de Naïma à ce moment-là, sa propre absence de fille à la maison l’amenant peut-être à souhaiter que ce soit sa mère qui soit partie à sa place ?

- On peut pas s’arrêter tout de suite, c’est que j’ai plus rien à dire moi.

Q - Il nous reste un peu moins de cinq minutes…

- Pourquoi c’est vous qui dites quand on s’arrête, moi aussi j’ai une montre !

Q - Disons plutôt que c’est les montres qui nous disent quand nous devons nous arrêter.

- Ouais… En tout cas ça m’a fait drôle de parler de mes parents, mais j’aime pas bien quand vous dites des trucs… euh… on dirait que vous pensez que mon père il aurait dû faire autrement à la maison…?

Q - Disons que c’est ce que je comprends quand je vous écoute. C’est peut-être aussi parce que vous, vous pensez un peu ça, que vous avez voulu partir de chez vous.

Naïma reste pensive pendant un long moment, me regardant fixement. Mon impression est alors qu’elle hésite entre deux mouvements, ou qu’elle tente de les associer dans la même attitude. D’une part de se sentir un peu triste de mon propos, et donc de m’en vouloir peut-être de formaliser cette désidéalisation, et d’autre part de reconnaître quelque chose d’elle et de son état d’esprit actuel dans cette interprétation.

- Oui, ben je vais y penser pendant la semaine, hein ?

Et au moment où, d’autorité, Naïma se lève pour partir, je l’informe qu’en raison de mon absence du service, je ne la verrai pas la semaine suivante mais dans deux semaines. Elle ne fait aucune observation, ce que je considère comme un progrès par rapport à l’ensemble de ses attitudes précédentes.

Deux jours après ce second entretien, nous voyons les parents de Naïma au service. L’éducateur du service en charge de cette adolescente participe aussi à cette rencontre.