c - UNE IDENTIFICATION PARTIELLE

Ce qui surgit peut-être ici, c’est qu’une identification est maintenant devenue possible, fût-ce une identification partielle à la communauté des femmes victimes (ce qui ne veut pas dire « soumises »…), ce qui apparaît vraisemblable si l’on entend ce que cette jeune fille répond à ma remarque :

Q - Vous pensez à elle… ?

- Des fois, je pensais que ma tante c’était ma mère… Enfin que j’aurais préféré, quoi ! A la fin je trouvais toutes les excuses pour pas rentrer, des fois j’allais chez elle, elle habite pas loin de la gare, mon père était pas bien d’accord, il s’entend pas bien avec elle, mais j’y allais quand même. Là-bas j’étais bien, tranquille, j’étais sûre que n’importe quoi pouvait pas arriver.

Q - Vous dites "des fois je pensais que ma tante c’était ma mère", c’était peut-être une façon de penser autrement à votre mère…

- Ouais… Comme elle était avant, alors ! Enfin… tous ! C’est qu’on n’est tous plus pareils ! Euh… Oh mais c’est n’importe quoi ce que je dis !

Q - Vous voyez plus votre famille de la même manière maintenant que vous êtes plus grande.

Naïma hoche la tête, pensivement. Je cherche alors à mettre une représentation sur cette idée de franchissement et de séparation.

Q - J’ai l’impression que pour vous, c’est quelque chose de la rentrée de septembre qui a été important.

- Oui, y a eu ça. A la fin de la semaine, j’avais pas envie de rentrer, retrouver ces cris, ça parle que de prison là-bas ! Et l’internat, pourtant, c’est pas marrant, eh ben je préférais la semaine au dimanche ! Au moins je les avais plus sur le dos tout le temps… Je me sentais libre. Ça m’a fait réfléchir… Mais d’autres trucs aussi. Après, quand mon frère était en prison, j’ai cru que ça irait mieux, plus de gifles, tout ça… Et puis en fait c’était pareil, ça gueulait de partout, ma mère, mon autre frère, des fois même mon père qui gueulait pour empêcher de gueuler !

Naïma rit franchement en se rappelant ce souvenir, une représentation de paradoxe. En somme, « plus ça change, plus c’est pareil », comme si tout effort de chacun pour se décoller de cette confusion n’aboutissait qu’à une adhésivité supplémentaire.

- Ça me fait rire, mais c’était grave hein ?!! L’autre fois, quand je suis partie, il a gueulé au téléphone, j’ai eu peur tout le dimanche que mon frère vienne me chercher, ma tante m’a dit qu’elle pouvait pas trop me garder comme ça, pour la loi quoi, elle m’a dit qu’il fallait aller voir l’assistante sociale.

Q - Et au départ, vous, vous auriez souhaité seulement rester avec votre tante à la place d’être dans votre famille ?

- Je sais pas…Ma tant elle est jeune, d’esprit aussi quoi… elle comprend mes problèmes. Chez elle, je me sens en sécurité ; elle a peur de personne, et mon père n’oserait rien faire avec elle. Mais c’est comme ici, au foyer, quoi… C’est comme des protections.

A ce moment, il me semble entendre Naïma parler d’un système pare-excitation, face à ses représentations d’insécurité familiale.