Q - Des barrières de sécurité ?
[Naïma sourit tout en semblant m’interroger du regard]
- Oh là, c’est un piège, cette question ? Eh ben… oui, ou alors comme des barrières comme au cirque, pour pas se faire bouffer par les tigres.
[Elle rit, manifestement de sa comparaison entre sa famille et une ménagerie…]
Q - Ah oui, vous préférez cette image, parce que les barrières de sécurité, c’est vous que ça empêcherait de sortir…
[Naïma, qui ne comprend visiblement plus rien à cette conversation, fronce les yeux comme pour manifester sa réflexion].
- Peut-être, j’sais pas, mais ici, on me laisse quand même sortir hein ! c’est pour ça que je dis ça…
Je note ici que cette adolescente a beaucoup diminué la quantité d’excitations produites dans la relation avec l’adulte, dans la mesure où son incompréhension de la nuance que j’introduisais (des barrières pour qui ?), de manière assez peu claire à vrai dire, ne produit tout au plus chez elle qu’une justification… là où trois semaines auparavant, j’imagine Naïma me rappelant à l’ordre, trop heureuse de retourner ironiquement la situation à son avantage.
Q - Vous avez parlé de votre orientation avec les éducateurs ?
- Oh oui ! Je vais aller dans un foyer à Saint-Etienne, pas loin du lycée. Mais je serai plus à l’internat, hein ! Moi, je préfère, ça me permettra de mieux voir mon copain, on se parle, c’est bien. Maintenant, je vais pouvoir travailler mon bac, ils seront plus là pour gueuler, en tout cas ça sera plus pareil avec eux…
Q - Justement, les relations avec votre famille, c’est prévu comment ? Qu’est-ce que vous souhaiteriez, vous ?
- Ah ben, je sais pas. C’est le Juge qui va dire ça au rendez-vous. Mais moi, je vais lui dire à lui aussi, hein ! Si c’est pour me faire taper, ça marche pas, je me tire tout de suite. Je lui ai dit au téléphone, à mon père ! Et puis j’irai pas toutes les semaines, hein ! Ma tante, elle a dit qu’elle pouvait me prendre, maintenant, elle va le demander au Juge…
Q - Avant d’arrêter cette rencontre, on pourrait parler de la façon dont vous avez vécu votre séjour dans cet appartement d’accueil… Comment vous allez vous souvenir de tout ça ?
- Oh ben très bien. J’ai l’impression que j’ai pu respirer… et puis parler de tout, quoi ! Tout le monde a été bien patient avec moi [elle rit]. Non c’est vrai, au début, je savais pas ce que j’avais, j’étais énervée contre les gens d’ici, c’est bête. Mais je crois que mes frères, ils m’avaient bien énervée, c’est pour ça… Il fallait que ça sorte. C’est comme avec vous, plus je parlais de ça, plus ça m’ennuyait. Alors que ça devrait être le contraire !
Q - Ah bon ! Pourquoi ?
- Ben ça devrait soulager, quoi !
Q - Pas tout de suite, quand même ! Au début, c’est peut-être logique que ça vous énerve de parler de choses qui vous avaient énervée quand elles se sont passées…
- Ouais, ben c’était pareil à l’hôpital, qu’est-ce que ça m’énervait là-bas ! Au moins ici, ils me font pas rentrer chez moi…
Q - C’est que l’hôpital, ça sert pas vraiment à orienter… et puis vous étiez quand même plus jeune que maintenant.
- Oui, c’est vrai, c’est peut-être pour ça que je me suis calmée plus vite ici. Bon, on peut s’arrêter maintenant, parce que c’est l’heure, hein !
Naïma tapote ostensiblement le cadran de sa montre, ce que je relie bien évidemment à notre échange de l’entretien précédent sur cet objet de réalité. Je lui propose donc d’arrêter ce dernier entretien, ce qu’elle accepte sans faire de commentaires 26 .
Lors du rendez-vous chez le Juge, Naïma manifeste à nouveau le souhait d’être placée "pour éviter de ramasser si elle rentre à la maison". Le Juge ordonne un placement dans un établissement stéphanois pour une durée de six mois renouvelable.