b - LES EVOCATIONS DES COUPS

Naïma évoque d’emblée les coups donnés par son frère comme la raison de son départ de la maison : "C’est mon frère. J’en ai marre. Ça arrête pas avec lui. Dès qu’il y a un problème, il faut qu’il tape." Dans cette même phrase Naïma amène en outre une qualification supplémentaire à ces coups, celle du plaisir sadique de ce frère à exercer sa brutalité sur elle : "Il n’y a que comme ça qu’il est bien, on dirait." Cette dimension est confirmée quelques minutes plus tard : "Son truc, c’était de presque m’étrangler. Mais pour de bon hein ? Je me débattais, mais lui ça le faisait rire." L’arrivée de son autre frère dans ce rapport habituel est d’ailleurs l’occasion pour elle de présenter les attitudes de ces garçons comme elle parlerait d’une « tournante sadique » ("Et puis maintenant c’est Kamel qui s’y met. Oh mais ça va pas non ? Pourquoi pas leurs copains pendant qu’ils y sont ?")

Aux coups sont associées plusieurs représentations. D’une part le fait que ceux-ci se produisent dans un contexte de séparation et de changement : "C’est depuis que j’ai quatorze ans qu’il est comme ça. Ce qui a dû l’énerver c’est de changer de classe. Avant on était toujours ensemble, inséparables... Depuis, on est toujours en train de s’engueuler." Naïma se représente un frère qui n’accepte pas de modifier leur registre relationnel, prêt à forcer sans cesse l’intimité de sa sœur adolescente : "Même la nuit j’étais pas tranquille. Mon frère rentrait, il voulait parler, il y en avait pour des heures. J’osais pas lui dire, mais j’ai envie de dormir, moi."

Ces éléments concernant la violence physique renvoient à la question de l’empêchement, ce que Naïma évoque tout au long de nos entretiens comme un vécu d’emprise contre lequel elle lutte de plusieurs façons. Répondre aux coups par des coups, prendre des médicaments, ou demander un placement renvoient à autant de tentatives d’installer une distance, un desserrement de l’emprise dont elle se sent l’objet.

Ensuite, d’envahissantes excitations psychiques accompagnent cette situation: "J’en ai marre, moi. Tout ce boucan tout le temps, y en a marre, j’arrivais pas à travailler, à réfléchir." C’est d’ailleurs pour calmer un surcroît d’excitations internes associées à des coups que Naïma a recours aux médicaments : "Je venais de me faire taper par mon frère, j’en avais marre. Les médicaments, je les ai pris dans la pharmacie à la maison. J’étais énervée, je les ai pris comme j’aurais tout cassé."

Enfin si la solution ponctuellement choisie par Naïma a comporté sa propre charge d’agressivité, cette jeune fille réfute clairement le souhait d’avoir voulu en finir en se suicidant. Selon elle ses prises de médicaments témoignaient surtout de l’urgence à quitter cette situation si déplaisante: "Y avait pas d’autre solution. C’était ça ou ça continuait. J’avais l’impression d’être coincée. Si je répondais, je ramassais encore plus, si je disais rien, il continuait… Mais j’ai jamais voulu mourir. C’est que je voulais que ça s’arrête. La suite, tout ça, moi j’y pensais pas ! Je pensais juste que j’en avais marre…"