c - UNE AUTRE APPROPRIATION

Cette recherche de l’arrêt de la violence physique peut analogiquement être mise en lien avec la demande de placement que Naïma formulera plus tard. D’ailleurs cette prise de distance apparaît comme le prolongement de ce qui était au commencement des attitudes du frère. Souvenons-nous que c’est de "changer de classe" dont il s’agissait à l’origine des coups, de passer d’un statut d’ « inséparables » à celui de frère et sœur différenciés.

Dans ce contexte de prise de distance généralisée, Naïma prend donc en main sa destinée (en même temps que ses affaires). Mais ne s’agit-il pas d’un mouvement comparable à celui dans lequel elle prenait tout autant en charge la brutalité ambiante (en répondant physiquement à ses frères, en prenant des médicaments, en refusant d’en parler à l’hôpital ou avec moi) ?

Ce départ de la maison semble l’indicateur de la volonté de cette jeune fille, dans une forme d’appropriation de l’agressivité fantasmée chez l’autre, de reprendre le contrôle de son corps et de ses expériences : ne plus être « touchée » contre son gré, pouvoir « dormir la nuit », ne plus entendre "tout ce boucan", c’est au plus près du narcissisme que Naïma situe ses revendications à l’autonomie, comme s’il s’agissait de reprendre la propriété de son corps et de ses moments de plaisir ou d’apaisement, et de faire ainsi échec à la passivité. Ce point fait écho à ce que nous avancions lors de notre revue théorique, concernant le fait que la puberté installe un moment de doute chez le sujet sur l’identité de « qui possède réellement ce corps nouvellement formé ».

Ceci fait d’ailleurs écho assez précisément au sujet de Naïma à une citation de X. POMMEREAU : « … la plupart des adolescents en mal-être connaissent de réelles difficultés à faire coïncider leur espace corporel avec leur espace psychique. « Chosifiés » très tôt en tant qu’objet d’amour… ou de sévices (abus sexuel, violences subies…), (…) privés de l’autorité morale paternelle garante de l’interdit de l’inceste, niés ou rejetés dans leur existence propre, ces adolescents restent prisonniers des liens primordiaux (…). Dans tous les cas, il leur est difficile - sinon impossible -d’accéder à l’altérité et de se vivre « séparés », ce qui les empêche de se sentir détenteurs de leur corps comme de leur esprit. » [1997, p157]