h- D’AUTRES REPERES IDENTIFICATOIRES

Observons que Naïma évoque ses relations avec sa tante comme déterminantes dans ce refus de supporter plus longtemps la situation familiale : "A la fin je trouvais toutes les excuses pour pas rentrer, des fois j’allais chez elle, elle habite pas loin de la gare, mon père était pas bien d’accord, il s’entend pas bien avec elle, mais j’y allais quand même."

Il y a chez cette tante un aspect rassurant, qui introduit une position tierce vis à vis du père : "Chez elle, je suis en sécurité, elle n’a peur de personne, et mon père oserait rien faire avec elle."

La dimension de scène primitive qui apparaît ici montre qu’au moment où elle parle, la problématique duelle et incorporative de Naïma semble moins organisatrice ("mon père n’oserait rien faire avec elle" - comme il faisait avec moi ? -), en même temps qu’une dimension classiquement triangulaire apparaît, dans la mesure où elle accepte maintenant de perdre l’objet incestueux ("mon père n’oserait rien faire avec elle" - comme il fait avec ma mère ? -), à l’inverse du moment où cette adolescente se représente frapper cette rivale.

Bien sûr les similitudes concernant la violence familiale existant entre leurs histoires renforcent encore ce rapprochement entre nièce et tante : "De toute façon elle sait ce que c’est de se faire taper. C’était pareil pour elle. Elle non plus elle a pu en parler à personne." Précisons que s’offre à Naïma la possibilité d’une identification homosexuée plus structurante que ne le fait sa mère, en raison de l’engagement de cette tante dans la dynamique conflictuelle de Naïma, même s’il est imaginable que la mère de cette adolescente ne soit pas pour rien en coulisses dans cette solution offerte par sa sœur à cette adolescente.

En outre cette nécessité de changer de ville à dix-sept ans l’a amenée à vivre en internat de semaine et ainsi à connaître un desserrement de sa problématique d’emprise intrafamiliale, avec une possibilité d’engager de manière plus efficace des mouvements identificatoires. Cela nous paraît mettre en jeu les intérêts du moi tels qu’ils se consolident habituellement à l’extérieur de la famille lors de l’entrée, à cet âge, dans « l’adolescence tardive » [D. MARCELLI, A. BRACONNIER, 1983, p29].

Ces éléments semblent avoir amené chez Naïma une modification de son régime identificatoire dans un contexte qui voit décroître son investissement de l’image paternelle ainsi qu’une identification à l’agresseur elle-même en diminution, en même temps que la modalité incorporative qui la soutenait. Pour le dire autrement : l’élaboration de la scène primitive montre que Naïma a avancé sur la question de l’obéissance ou de la passivité, jusqu’à refuser (par sa révolte actuelle) de subir la violence familiale représentative d’une position paternelle toute-puissante niant la triangulation.

Décroît en même temps la confusion dans laquelle ces violences physiques mettaient Naïma, à travers cette nouvelle articulation des registres narcissique et objectal. Ainsi le rôle dévolu à cette tante en tant que nouvel objet externe figure un système pare-excitation qui laisse supposer que cette adolescente peut maintenant s’affronter à ses propres affects sans trop d’angoisse de perte narcissique. La nécessité de mettre ceux-ci en scène a progressivement perdu de son importance, ce qui semble bien s’être joué aussi au cours des entretiens que nous avons relatés ici. Nous ramènerons d’ailleurs à ce rôle de pare-excitation mes propres interventions concernant ses pressions sur le cadre des entretiens, en observant que s’est amenuisée chez Naïma la nécessité de remettre en cause ma propre position, comme une façon pour elle de céder sur la construction d’une scène perverse.