II - 2 - 2 - Premier entretien

a - UN DEBUT ASSEZ TONIQUE

Selma attend à peine que j’aie terminé ma définition du travail proposé, laquelle n’excède guère quinze secondes, et prend la parole de manière énergique après que j’ai dit :

Q - … et puis réfléchir à ce qui s’est passé avec vos parents…

- Ah mais c’est simple ça ! C’est que mon père me battait… pour diverses raisons,

Et sans prendre le temps de dire ce qu’il peut y avoir de raisonnable à ces coups, elle évoque spontanément l’existence de sa sœur :

… et puis j’ai une sœur, Saliha. Mais il ne la battait pas, ça a toujours été comme ça. C’est que moi, il me trouvait irresponsable. Alors c’est marrant ça, parce que moi je trouve plutôt que c’est lui qui ne me laisse pas grandir. J’ai presque 17 ans et il s’imagine que je suis encore une petite fille ! Mais pour vous dire ce qui se passe avec mes parents, c’est pas possible ! Il faudrait dire, ce qui se passe avec mon père, la tension, tout ça…

Q - Mais votre mère…

- C’est que c’est des disputes tout le temps, sur n’importe quel prétexte, avec lui. Tout ce que je peux dire, ça va pas ! On n’est jamais d’accord sur rien, même mes goûts ça fait exploser ! L’autre jour à la télé, il y avait de la danse moderne, elles avaient des collants avec des rubans en bas. Moi je trouvais ça super ! Moi je fais de la GRS et les rubans, on s’en sert… Je l’ai juste dit à ma mère. Mon père il s’est mis à gueuler que c’était des putes, excusez-moi du mot, hein, que c’était pas possible de s’habiller comme ça, et que moi je deviendrai pareille, tout ça !! Alors je lui ai dit qu’il avait pas à parler comme ça à sa fille, lui il m’a dit de me taire et c’est parti en engueulade…

Puis Selma qui s’était progressivement emportée tout au long de ce propos se rend visiblement compte de cela toute seule et, sans intervention de ma part, s’interrompt puis se calme en respirant profondément et les yeux dans le vague ; comme une gymnaste après l’effort. Et alors que je m’apprête à lui proposer de réfléchir à la possibilité de laisser cette tension à la maison, ou du côté du père, elle termine son récit ainsi :

… Alors j’avais des livres de classe sur la table et il me les a balancés dessus !

Suit un moment de silence au cours duquel je me laisse aller à noter la dimension allégorique de cette description. Soit : « un père pulsionnel retourne à sa fille, à travers des milliers de mots matérialisés, les propositions de symbolisation qu’elle lui fait sur son maniement de l’agressivité ».