b - "LA PERSONNE QUE J’ADMIRAIS LE PLUS AU MONDE"

Mais écartant un commentaire de cet ordre, j’opte prudemment pour une relance moins métaphorique au sujet de ces problèmes :

Q - Il y a longtemps que ça se passe comme ça avec votre père ?

- Depuis qu’on est revenues avec mes parents. J’avais sept ans, à peu près. Avant j’étais en pension pendant 3-4 ans parce que ma mère était seule et trouver du travail avec un enfant, c’est pas facile. Mais c’était bien, dans les pensions, on vit comme dans des colonies, j’aimais bien là-bas.

Q - Et avant la pension ?

- On était chez une nourrice. Mais on voyait nos parents, hein ! Enfin… notre mère, quoi… Mais là, je me souviens pas de grand chose, ah si, ma mère vient nous chercher pour nous emmener pour toujours, on pleurait... Mais je sais plus pourquoi.

Q - Peut-être que ça vous faisait de la peine de vous séparer de cette famille…

- C’est sûr que c’est que ça faisait peur, et que ça ennuyait tous ces changements, partir de là-bas…

Q - Ce que vous dites là, c’est que c’est comme pour les pensions, vous vous sentiez mieux que chez vous ?

- C’est pas ça ! C’est qu’avec ma mère, c’est pas marrant tous les jours… Il y avait tout le temps plein de problèmes. Elle s’énervait pour un rien… Mais elle tapait pas, hein ! C’est quand on est rentrées, mon père il a commencé tout de suite. Non, en fait, au début, ça allait, c’est quand on a commencé à vraiment grandir.

Q - Ça fait deux fois que vous dites quelque chose comme ça… Vous la ressentez vraiment son envie de vouloir vous garder petite ?

- C’est pas que je la ressens, c’est que c’est comme ça !! Mon père, quand j’étais petite, c’est la personne que j’admirais le plus au monde. Maintenant c’est la personne que je hais le plus au monde. Quand je pense comme il s’occupait de moi au début ! Il m’apprenait toujours des trucs… Je me sentais fière !

Q - Donc, au début, c’était quand même mieux que maintenant…

- Oh quand même, je crois que je voulais mourir depuis sept ou huit ans. Je crois que j’aimais pas ma nouvelle vie. C’était peut-être pas autant la crise que maintenant, c’est vrai qu’il y avait des moments bien, mais depuis le début, il faisait tout le temps des remarques. Il nous disait qu’on étaient mal élevées, que c’était de la faute de ma mère, que si je voulais j’avais qu’à retourner d’où je venais...

Q - Peut-être que vous espériez beaucoup de cette vie tous ensemble, de vous retrouver, et ça vous a…

- Ah non ! Pas du tout ! Moi on m’a pas demandé mon avis. C’est mon père qui voulait être avec nous. Tous les deux au début ça allait bien quand même, mais après ça n’a plus été. Je sais pas si on vous l’a dit, mais j’ai essayé de me suicider en janvier. Après, j’ai trouvé que c’était stupide.

[Selma s’arrête de parler et fait la moue, ce que je comprends comme une envie de disqualifier son mouvement d’auto-agression].

Ce que je perçois à ce moment-là dans ce "on m’a pas demandé mon avis", c’est un énoncé adolescent comparable à "j’ai pas demandé à vivre". D’ailleurs Selma évoque ensuite sa tentative de suicide, ce qui peut apparaître comme une association sur cette première remarque. Mais derrière ce que je peux entendre alors comme une séquence de refus (d’espoir, d’avis, de vivre…), je ressens quand même l’énergie de son argumentation comme quelque chose qui serait du côté du contre-investissement. Car ce que dit Selma peut être pris comme une défense vis-à-vis de ce que ma suggestion pouvait indiquer en elle de désirant d’une présence de son père à ses côtés. (tout comme son "… envie de mourir depuis sept ou huit ans" vient amortir l’énoncé d’une fierté à être la fille d’un père enfin présent).

[Elle reprend après un temps de réflexion.]

- Je venais de me faire taper, il ne voulait pas que je fasse une compétition. Il disait que c’était trop loin, que je devais pas partir toute la journée, tout ça. Il dit des mots, j’ai honte moi, qu’est-ce que ça peut lui faire, que j’aille faire des compétitions ?