b - UNE EXCLUSION OU UNE AUTO-EXCLUSION ?

Je ressens ici que si l’axe relationnel central de la famille est bien le duo père Selma, cette mère paraît avoir accepté de n’intervenir que peu en tant que parent dans les crises au cours desquelles cette adolescente a pu chercher à changer l’attitude de son père. La tentative de suicide est d’ailleurs commentée dans une certaine proximité avec sa fille ("dans cette maison on peut faire n’importe quoi on n’arrive à rien"), et comme un moyen dont on aurait pu attendre des résultats satisfaisants ("Mais ça a recommencé après…"). J’entends aussi que la présence du duo en question semble exclure cette mère des relations familiales : "Selma elle m’aide, eh ben quand son père est à la maison, il n’y a plus personne qui m’aide, plus personne écoute rien".

J’observe aussi que cette mère souligne que Selma et sa sœur Saliha sont traitées sur un pied d’égalité à la maison, alors que notre jeune fille paraissait, elle, beaucoup tenir à la différence ("mais il ne la battait pas, ça a toujours été comme ça").

Q - Vous l’avez revue, vous avez parlé avec elle, Selma, depuis qu’elle est placée ici ?

Mme - Moi non. Son père oui. Elle est passée hier, ou avant-hier, je ne sais plus… Moi j’étais au travail. J’aimerais bien savoir ce qu’ils ont dit ensemble. Il m’a dit qu’ils ont discuté, qu’ils ont rigolé et il dit qu’il a compris. D’après ce qu’il m’a dit, ils ont convenu qu’elle aille dans un foyer la semaine. Ils m’ont pas demandé mon avis.

Q - Ah bon ? Ça s’est fait vraiment vite ça… Comment c’est possible d’après vous ?

Mme - Oh pour moi, ce qu’elle a fait Selma, aller voir l’assistante sociale, la Juge, tout ça, ça lui a vraiment montré ce qui allait pas. Ça lui a tiré l’attention…

[… tirer la tension ?]

Ça lui a ouvert l’esprit, ça lui a fait comprendre que comme il agissait, c’était pas bien.

Q - Ce que vous nous dites là, c’est que le fait que Selma demande à être placée, ça a montré à son père qu’elle était trop mal à la maison, qu’elle ne supportait plus d’être frappée, comme si il y avait besoin de ça pour montrer que c’était trop difficile…

Mme - Oui, c’est ça, c’est vrai que des fois, il ne sait pas bien s’arrêter quand il est énervé. Ça tape, quoi… puis Selma savait pas comment prendre son père, comment parler avec son père. Maintenant qu’elle est là, ça s’est ouvert à la maison.

Q - Donc vous ressentez que ça va mieux, à la maison tout d’abord, puis entre Selma et son père… Alors il vaut mieux qu’elle ne rentre pas…

Mme - Oh ben ça ils verront hein !? Mais je veux pas qu’elle prenne l’envie de vouloir se droguer !

Il me semble à ce moment de l’entretien que cette mère témoigne de sa propre exclusion de la relation liant Selma et son père. Mais je ressens aussi que son absence de revendication à ce sujet recouvre un certain contrôle de cette situation. J’imagine à ce moment-là une figure paternelle de laquelle il faut certes s’accommoder, mais qui envahit le champ familial d’une manière si prévisible que cet homme n’est en fin de compte guère dominateur…

Q - Oui. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Mme - J’ai peur de trucs comme ça. C’est qu’on voit tellement de choses maintenant… C’est qu’il y en a des drogués vous savez…

Q - Je ne sais pas, mais concernant Selma, vous avez remarqué ou entendu dire quelque chose ?

Mme - Non. Mais les médicaments qu’elle a pris l’autre fois, peut-être que ça commence comme ça, non ? Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Q - Ça vous inquiète ce qui peut se passer en dehors de chez vous pour votre fille…

Mme - Un peu oui. C’est qu’à la maison c’est surtout avec son père qu’elle voyait les affaires, et il me disait. Alors maintenant qu’elle est plus là, moi je sais plus rien…

Q - Peut-être que vous pouvez parler avec elle quand elle rentre le week-end…

Mme - Oh mais c’est qu’elle rentre quand elle veut ! Et puis elle parle aussi quand elle veut ! Je vous l’ai dit, elle est ensorcelée ! C’est trop fort pour moi.