c - L’ARRIVEE REMARQUABLE DU PERE

Cela fait une vingtaine de minutes que nous échangeons avec cette mère lorsqu’arrive le père de Selma, que nous entendons facilement de la pièce où nous sommes, tant il se fait connaître bruyamment à la porte d’entrée du service. C’est d’ailleurs à la personne qui l’accueille, et qui ne cherche qu’à le faire entrer, que ce monsieur commence à exposer les motifs de son retard… suffisamment fort pour que nous entendions ce père sans le voir encore !

… c’est que j’étais en ville, et je devais venir directement. Mais la convocation, elle était restée sur le buffet…

- Oui, entrez Monsieur, vous allez pouvoir expliquer tout ça.

M. - J’ai bien essayé d’appeler, mais elle était déjà partie ! Alors il a fallu que je remonte…

- Ce n’est pas moi qui doit vous recevoir, Monsieur, c’est ici.

M. - C’est que le bus, tout ça…

… et ce monsieur entre dans la pièce tout en continuant son discours, adressé à nous trois à partir de là, notre collègue s’étant retirée, sa tâche effectuée,

… ça prend du temps, vous savez… [puis s’adressant à sa compagne sans apparemment se préoccuper de notre présence] et puis toi, tu pouvais pas me le dire où c’était ? Tu t’en doutais pas que je saurais pas où il est le foyer ? En plus la convocation…

Q - Monsieur, s’il vous plaît ! Nous avons commencé en vous attendant…

M. - Oui. Je suis en retard parce que j’étais en ville et…

Q - Oui. Nous avons bien entendu. Ne perdons pas de temps. Nous avons écouté la maman de Selma. Peut-être pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de ce qui se passe pour Selma en ce moment ?

M. - Ce qui se passe ? C’est le quartier ! C’est inhabitable au niveau de tout. L’éducation des parents et des enfants… Alors elle cherche à rien faire de partout, à la maison, à l’école, tout ça. C’est qu’elle a la folie des grandeurs, Selma, c’est ça le problème. Ce qu’elle veut, c’est manger, boire, elle veut avoir la vie facile, vous savez… Mais elle ne se rend pas compte de la difficulté à trouver du travail ! Et dès qu’on lui demande quelque chose, elle se met à crier !

Q - Ah bon ? Je ne retrouve pas tellement Selma dans ce que vous décrivez… Vous pensez qu’elle peut être différente à la maison, ou avec vous, par rapport à l’extérieur ?

M. - Oh non ! C’est qu’elle essaie de se présenter avec la bonne image…

A cette idée de la « bonne image » je pense à la critique de Selma ("il va vous faire son cinéma, mon père"), et j’observe alors que chacun reproche à l’autre de mettre en scène à son avantage personnel leurs difficultés relationnelles, ce rapport à l’imaginaire renforçant encore l’idée que père et fille se présentent en miroir l’un de l’autre. Cette idée est d’ailleurs appuyée par l’attitude d’observation « vide » manifestée par la mère de Selma depuis l’arrivée de son concubin - un regard fixe et sans expression- et mon sentiment est qu’elle le regarde parler pour mieux se fermer à ce qu’il dit, comme un regard qui s’accommode à une réalité difficilement assimilable.