e - LE PERE DECIDE DE LA FIN DE L’ENTRETIEN

Q - Ce sont des choses que vous pensez, Monsieur, mais est-ce que ça concerne Selma ? Et vous Madame, qu’est-ce que vous en pensez de sa gymnastique ?

Mme - C’est bien, ça la défoule, elle aime bien, ça la change de la maison…

M. - Ah ben toi, de toute façon, t’es toujours d’accord avec elle ! Mais tu sais pas mieux que moi ce qui se passe là-bas ?! [Puis se tournant vers nous] Mais vous savez, là-dessus, j’empêche pas, hein ! Je donne seulement des conseils !

Q - Ce que vous dites, ça me donne l’impression qu’en dehors de chez vous, il ne peut rien se passer de vraiment positif pour Selma…

M. - Mais où il se passerait des choses ? De quoi ? Selma elle a un père, une mère, il n’y a pas besoin d’autre chose, qu’il se passe des choses ailleurs. Je lui ai dit, moi ! Si tu veux revenir, tu reviens… Si tu veux pas, tu fais la connerie de ta vie… Maintenant décide !

Q - Ça ne se passe peut-être pas avec un choix comme ça…

M. - Non, non, c’est comme ça. Moi, je vous ai dit ce que j’avais à vous dire ! Maintenant j’ai terminé ! [Puis se levant et s’adressant à sa femme] Allez viens ! On a assez perdu de temps ! Au revoir Messieurs !

Q - Ah ben si c’est vous qui décidez d’arrêter la rencontre, alors… Au revoir Madame, Monsieur…

Nous arrêtons l’entretien ici, bien obligés et ayant de toute manière dépassé le cadre de temps habituel. La capacité du père à prendre en main les situations relationnelles apparaîtra donc jusqu’à cet élément du dispositif.

Et si j’observe en moi-même que le retard de ce monsieur nous a empêché de réellement discuter avec ce couple parental, j’ai bien l’idée qu’il s’agit d’une observation plus que d’un regret, dans la mesure où nous aurions en ce cas sans doute été dans la situation de ne guère pouvoir entendre la mère de Selma. J’ai en fait l’impression que nous avons utilisé le retard de ce monsieur pour entrer en relation avec cette mère, de manière spontanée car nous ne le connaissions pas directement, reconnaissant que nous aurions pu donner un autre rendez-vous à ce couple parental plutôt que de les rencontrer dans ces conditions. Mon sentiment est alors d’avoir été gagné par la réputation faite par Selma à son père, avec comme conséquence pour moi de m’accommoder dans l’anticipation à ses attitudes inadaptées, de les contourner en quelque sorte par avance, dans un mouvement d’identification à cette jeune fille confrontée à un père intrusif.

Je pourrais relier cette impression à l’idée que nous n’avons, malgré le temps passé, guère avancé sur les représentations de ce père au sujet des difficultés de sa fille. Certes sa position de toute-puissance affichée ne paraît pas modifiable en une rencontre (le serait-elle en plusieurs ?), et bien sûr notre propre position de travailler sur la commande de la Juge pour enfants le met peut-être en situation de justifier et non d’interroger ses représentations et attitudes, mais le résultat me semble alors que nous avons peu parlé de Selma avec son père et beaucoup plus de ce monsieur et de ses souhaits d’emprise.

C’est en pensant à cette emprise que me revient alors une phrase du père, "… c’est pas ma place ici…", là où d’autres pères avancent plus généralement "… c’est pas sa place ici…", quand ils parlent de leur fille. Son investissement narcissique des situations peut être souligné lorsqu’il semble donner aussi peu de place à l’objet.