b - "TAPER, ÇA PEUT ETRE NORMAL ?"

Je note aussi que sa vive réaction à mes termes de « relation avec votre père » et « solution », ce qu’elle paraît interpréter comme une allusion au fait qu’elle pourrait retourner chez ses parents, est en fait construite face à moi sur le modèle qu’elle pointe plus loin : une crainte de se « faire avoir » par moi et un refus de discuter, qui la conduisent à annoncer préalablement sa décision de ne pas rentrer chez elle. Apparaît ici la dimension de réactualisation transférentielle dans l’entretien, qui explique en grande part les attitudes antagonistes parfois développées par cette adolescente à mon égard.

Q - Des bonbons, des coups… c’est pas tout à fait pareil ça…

- Ouais mais à l’époque, c’était plutôt les bonbons… C’est plus ces derniers temps de taper. Enfin quand j’étais petite aussi il me tapait. Mais là c’était quand j’avais fait une bêtise, c’était normal.

Q - Taper, ça peut être normal ?

- Ben oui, si c’est pour s’occuper de l’enfant… c’est normal. Pour lui apprendre, quoi…

Q - Par exemple ?

- Ben à pas faire quelque chose, genre partir de la maison sans prévenir et aller dans la rue, c’est dangereux ! Alors le parent, il peut corriger l’enfant pour que ça lui rentre dans la tête que ça peut lui faire des problèmes de partir n’importe comment comme ça…

Q - Et en parlant, c’est pas plus efficace, expliquer…? Et puis on peut se demander aussi pourquoi cet enfant voudrait partir de chez lui ou de chez elle comme ça n’importe comment… Qu’est-ce que vous en pensez ?

- Ah oui mais parler il faut commencer comme ça bien sûr ! Pas taper tout de suite… Mais si elle continue, il faut bien lui faire voir, qu’elle comprenne que c’est grave !

"elle" ? Mais de qui Selma se met-elle à parler ici ?

Q - Mais si elle part parce qu’on la tape, et qu’on la tape parce qu’elle part, ça risque de durer longtemps, non ?

[Selma me regarde avec un petit sourire en coin…]

- Ouais, j’ai compris votre truc. Mais moi je parlais d’une fille de quatre ans, ou cinq ou six, hein ? Plus grande, c’est pas pareil… C’est que c’est désobéissant les petits ! Ma cousine elle a quatre ans, elle est comme ça. Elle fait ce qu’elle veut ! Elle monte sur la table, elle prend ce qu’elle veut dans la cuisine pour manger, elle dit des insultes… Moi je l’adore hein ! Mais des fois, elle exagère… Eh ben elle prend des gifles par ma tante, y a que ça pour la calmer ! Après ça va… Moi je la console, je la prends sur mes genoux.

Q - Vous pensez qu’elle attend la gifle pour se calmer, presque comme si elle la cherchait ?

- Ah non, hein ! Elle se rend pas compte ! Elle est comme ça ! Gatée-pourrie, elle dit ma mère ! Mais elle cherche pas la gifle, quand même ! C’est qu’elle pleure pour de bon, hein ?!

Q - Non… Je me disais qu’une gifle ça pourrait au moins rassurer l’enfant sur ce qu’il peut faire ou pas faire… Peut-être qu’on lui a pas assez expliqué avec les mots…

Mais Selma parait ne même plus écouter ce que je lui dis, et se désintéresse manifestement de la situation d’échange en regardant par la fenêtre tout en se grattant la tête. Certes, mon propos virait un peu au cours de psychologie sur le thème de « la pulsion et l’interdit sous le primat du langage »… Mais la dimension projective de son évocation entamée sur la justification des coups « éducatifs » m’était apparue utilisable lorsque Selma dessine une fillette souhaitant quitter la maison, d’autant que son sourire m’avait laissé à un moment l’impression que l’idée de la compulsion aux coups était presqu’élaborable pour sa propre histoire récente.

Toutefois ce qui vient ensuite est trop du côté de la dénégation pour me permettre d’utiliser ce mouvement d’identification à sa cousine de quatre ans. L’idée que l’on puisse « chercher les gifles » est en fait manifestement trop proche de la problématique de Selma pour que celle-ci puisse l’utiliser dans sa réflexion personnelle.