d - LA VIOLENCE EVOQUE UNE REALITE DE MENACE INCESTUEUSE

Dans cette expérience régulière d’être battue et empêchée, Selma semble avoir intériorisé une figure paternelle anxiogène, une image incestuelle et violente animée par ses pulsions anales. Et si quelque chose d’une scène primitive est apparu dans le propos de cette jeune fille ("… c’est qu’il me baratine, mon père ! Je l’ai souvent vu faire avec ma mère, je sais comment ça se termine après. (…) Elle se fait toujours avoir."), on notera, d’une part, que cela est évoqué dans un registre de domination sadique-anale, et d’autre part que cette jeune fille ne semble guère se différencier de la place de sa mère dans cette représentation de couple.

On peut dire que les comportements du père induisent sa propre disqualification, et dans un contexte où le couple parental lui-même est loin de soutenir quelque chose d’ « œdipien » dans ses relations. Ici, l’économie libidinalen’est ni suffisamment différenciée, ni suffisamment triangulée. Ceci laisse le champ libre dans le travail psychique de Selma à l’idée d’un face à face avec son père, sans tiers extérieur pour l’aider à s’en dégager.

Mais nous ne pouvons nous arrêter à l’économie relationnelle observable entre les parents de Selma pour évoquer sa difficulté d’élaborer ses expériences relationnelles. A un premier niveau intersubjectif, cette situation est d’ailleurs représentative de toute une partie de notre activité professionnelle, dans laquelle nous rencontrons des familles qui paraissent s’organiser avec leurs enfants en constituant des communautés anti-œdipiennes, entraînant généralement un écrasement de la différence des générations propre à constituer des situations ambiguës au regard des limites.

A un niveau second, nous devons dire que la proximité relationnelle et fonctionnelle de ce duo père-fille a une incidence considérable en ce que la menace incestueuse ne paraît pas pouvoir être contenue sur le plan habituel du jeu avec la limite, parce que la violence physique paraît transformer cette menace en réalité. C’est à un niveau de passages à l’acte qu’un saut qualitatif paraît se faire, lequel fait passer Selma du fantasme inconscient de séduction paternelle à la découverte d’un père séducteur dans la réalité.

Ainsi est-ce le cadre de sexualisation pubertaire dans lequel ces agressions physiques et verbales se situent qui leur donne un sens de séduction active. C’est pourquoi Selma peine à l’époque à trouver des représentations susceptibles de contenir ses mouvements affectifs. Les métaphores électriques utilisées par cette adolescente ("l’excitation… la tension… la surtension...") montrent que dans ce temps de la vie familiale, ce matériel émotionnel n’a pu être élaboré. Ici c’est jusqu’au lien à l’objet primaire qui paraît réinterrogé, les coups prenant une valeur dé-narcissisante, au sens où les processus de figuration sont mis en échec, entraînant chez Selma un recours au corps pour toute expression des affects, comme nous le montre sa tentative de suicide.

Nous constatons alors que les conduites intrusives paternelles ont considérablement gêné le travail défensif de Selma, en installant des représentants très mobilisateurs : "… il dit que je voudrais faire ce que je veux pour faire n’importe quoi et aller avec des garçons. Il pense qu’à des trucs comme ça. A l’entraînement il nous a vu faire le grand écart, il m’a dit que c’était du french cancan !", "… Geneviève, c’est une éducatrice du Rosaire, un foyer où j’étais plus petite il a dit qu’il l’avait vu l’autre jour, que maintenant elle faisait le trottoir. N’importe quoi !!"

Sur un plan dynamique, nous pouvons formaliser les choses ainsi : le milieu de vie de Selma apparaît trop peu apaisant pour permettre que se constitue un espace psychique d’élaboration secondaire non contaminé par des excitations, largement activées par un environnement qui renforce ainsi caricaturalement les effets intrapsychiques de la puberté. En ce sens, nous pouvons observer que les attitudes de violence paternelle ont des effets de confusion, parce qu’elles désorganisent la topique psychique de cette jeune fille, dès lors que les attitudes surmoïques développées par le père se colorent d’une telle pulsionnalité.