h - LE REFUS DE L’EMPRISE

Ainsi Selma manifeste, au cœur même de cette situation de violence familiale, une première attitude visant à se protéger de l’intrusion paternelle. Elle le fait par un déplacement d’investissement sur un nouvel objet, mécanisme de défense théorisé par A-M. ROCHEBLAVE [1978, p65]. C’est ainsi que nous comprenons l’association de Selma lorsqu’elle passe, pendant le deuxième entretien, de la relation de la scène des coups paternels à une évocation célébrant l’idéal collectif favorisé par son club de gymnastique. Cette représentation consiste à privilégier la dimension corporelle, loin de l’accès contrarié par le père à la génitalité féminine, par l’investissement du corps en tant que support visible de cette identification en miroir : « A la puberté, l’installation du cycle menstruel confronte la fille, pour la première fois, à l’expérience proprioceptive de ses organes de reproduction : utérus, ovaires et trompes. Cette expérience constitue une exigence de travail psychique, notamment de figuration de l’invisible, qui n’est révélé qu’au travers de cénesthésies douloureuses et de la vue du sang des règles, ce qui mobilise toujours un certain degré d’angoisse, voire de terreur. Souvent masquée par le travail psychique lié au développement des seins, travail plus aisé parce que basé sur la perception visuelle… » [F. GUIGNARD, 1999, p14] Et nous pourrions enchaîner ici : … cette expérience est d’autant plus anxiogène pour les adolescentes battues que leurs fantasmes de destruction des organes internes ne s’étayent sur aucune trace visible. A la suite de ces coups « dans » le ventre, Selma développe des représentations de douleur et de confusion d’étiologie, puis paraît se replier sur ce corps gymnaste, désexualisé et conforme au modèle commun.

Au sujet de cette insertion dans un groupe identificatoire par l’assomption d’un idéal collectif, E. KESTEMBERG évoque l’adolescent qui « réalise donc là un équilibre utile qui lui apporte suffisamment de satisfactions libidinales tolérables en cela que les objets investis sont dilués en quelque sorte dans le groupe ou le groupement et qu’ils semblent ou qu’il peut les croire désérotisés. » [1962, p456] Parallèlement à ce groupe de gymnastique, c’est sur un mouvement symétrique comparable que Selma parle de sa camarade Agnès :  "… depuis la primaire, on est pareilles.

L’investissement de ce groupe (objet primaire) en même temps que ce fantasme d’indifférenciation hiérarchique (contre-investissement de l’objet œdipien) servent incontestablement à Selma, dans le cadre d’une communauté de refoulement, à mettre à distance l’anxiété suscitée par les paroles et agissements du père, le collectif faisant alors contrepoids avec les mouvements incestuels.

Cette appétence à l’utilisation du groupe comme défense doit en outre être ramenée aux conditions de vie de cette jeune fille durant sa première enfance, qui ont peut-être imprégné l’objet primaire de cette addition d’investissements ("… dans les pensions, on vit comme dans des colonies"), sur le mode de cette « dilution » évoquée par E. KESTEMBERG. Ceci nous paraît correspondre à ce qu’écrit A. HAIM : « Lorsqu’il se sent trop perdu à l’intérieur de lui-même, le jeune (...) peut être aidé par la régression défensive contre-œdipienne et par la réactivation des motions prégénitales qui lui permet de retrouver en lui un vécu infantile déjà connu et familier. » [1969, p227]

Mais cet aménagement complexe, articulant emprise, incorporation, érotisation et désérotisation, a progressivement perdu de son efficacité après la puberté de cette jeune fille : il y avait des coups normaux, il y a une violence insupportable ; il y avait une idéalisation, il y a une critique contre le père.