II - 3 - 2 - Premier entretien

a - L’ACCOMPAGNEMENT MATERNEL

Lors de notre première rencontre, je donne la parole à Déhbia de la façon suivante :

Q - On pourrait commencer par parler du comment vous êtes venue ici ?

- C’est que j’étais à l’hôpital vendredi, j’étais avec ma mère, toute la journée. Les examens, tout ça, ça a duré vraiment longtemps, et après on est venues ici. Ils m’attendaient l’après-midi, mais ça a été long à l’hôpital, on est sorties il faisait nuit. En plus j’étais fatiguée, ma mère a voulu prendre un taxi, mais on a mis du temps à le trouver, on a marché, il pleuvait.

Q - L’hôpital, c’était…

- Parce que j’ai fait une fausse-couche, c’est ce qu’ils m’ont expliqué. Il fallait l’enlever. Après je suis venue ici.

Je rencontre cette jeune fille quatre jours après son arrivée. Entendant son récit, c’est sur le compte de son état de fatigue que je mets à ce moment-là le décalage ressenti entre son aspect de maturité et cette apparente fragilité de l’enfance. Cela me suscite alors l’idée que mon rendez-vous est peut-être un peu précipité pour cette jeune malade… Quelques remords me conduisent à prendre de ses nouvelles, comme pour laisser ouverte la question de remettre l’entretien à plus tard, et éviter qu’une telle rencontre constitue une agression supplémentaire pour cette adolescente dont je sais déjà qu’elle a été présentée au service comme « subissant des violences familiales » lors du signalement par la Juge.

Q - Mais aujourd’hui, vous vous sentez comment ?

- Oh ça va bien, j’ai dormi tout le week-end. Dimanche je voulais aller chez moi, mais l’éducatrice, elle m’a dit de me reposer, et que de toute manière, ici, on peut pas sortir le premier week-end.

Si cette réponse me rassure sur sa capacité à supporter mon intervention, elle me met dans une certaine perplexité sur les conditions de son accueil. Car ce n’est pas sous les augures du refus de la violence que commence notre relation (Déhbia décrit en fait la journée qui précède son accueil sans donner la moindre explication pour celui-ci), mais sous celles du « maternel », et ceci à plusieurs titres.

D’abord sur le fait qu’apparaît une interruption de grossesse que j’associe à son départ de chez elle, comme si celui-ci évoquait implicitement un échec de sa propre mère à la garder. Puis l’accompagnement de la mère dans notre établissement, que j’imagine sous la forme de deux silhouettes courbées dans la nuit pluvieuse, et qui tend à confondre l’une et l’autre dans des difficultés personnelles qu’elles traverseraient ensemble. D’autre part ce souhait d’aller en visite dans sa famille dès le premier week-end m’apparaît comme un retour vers sa mère qui néglige quelque peu le danger - mais danger pour qui ? - dans sa famille. Enfin ce « maternel » peut transparaître dans ma sollicitude sur la santé de Déhbia, au-delà de ma tâche de compréhension demandée par l’institution, et comme une mise au travail de l’inquiétude maternelle qui me fait d’abord considérer le corps supposé souffrant de cette jeune fille.